HéRITAGE COMPLEXE POUR TROUPLE ET AUTRE FAMILLE ATYPIQUE

Le Montréalais André-Bernard Guévin est en couple avec deux hommes. Ou, comme il le dit lui-même, il est en « trouple ». Il a méticuleusement détaillé son testament pour s’assurer dans le futur du bien-être des membres survivants du trouple, qui ont tous autour d’une soixantaine d’années, ainsi que de leurs « enfants de coeur ».

André-Bernard a rencontré Carol Clément par l’entremise d’une petite annonce « homme cherche homme » dans le journal Le Devoir, il y a près de 25 ans. « Une amie à moi avait vu l’annonce et m’avait incité à y répondre, mais je ne croyais pas à ce genre de choses-là », se rappelle Carol, retraité du milieu théâtral. Il a hésité jusqu’à la dernière minute, puis il a rejoint André-Bernard dans un musée. « C’était une belle rencontre. Je le trouvais charmant et avenant », révèle-t-il.

Les choses ont ensuite déboulé rapidement. Ils ont habité dans une magnifique propriété du Plateau-Mont-Royal dont ils étaient copropriétaires. Mais après plusieurs années, ils ont constaté que la cohabitation ne fonctionnait pas. Ils ont décidé de se séparer, tout en restant amoureux.

« J’ai racheté la portion de Carol en 2019 », souligne André-Bernard, un homme chaleureux et posé, nouvellement retraité de l’enseignement. « Mais on se parle 20 fois par jour et on se voit tous les jours et demi. »

Il reçoit Le Devoir dans sa maison moderne digne d’une revue de décoration, en compagnie de Pepe. De son vrai nom Jose Ochoa, ce dernier est entré dans la vie d’André-Bernard il y a presque sept ans.

« Pepe me donne beaucoup d’amour », se réjouit André-Bernard. Même si son amoureux d’origine mexicaine a son propre appartement, il passe presque tout son temps chez André-Bernard.

Carol et Pepe ont quant à eux une relation amicale. « C’est quelqu’un de très sympathique et généreux », estime Carol. Il se considère comme quelqu’un d’indépendant qui n’a pas besoin d’une relation fusionnelle. « Le fait d’être à trois dans une relation, chacun a sa place », assure-t-il.

Des testaments bien planifiés

Il y a cinq ans, André-Bernard et Carol ont profité de leur passage chez le notaire pour planifier et enregistrer leurs testaments. Ils ont chacun accumulé un patrimoine assez intéressant pour que plusieurs personnes puissent en bénéficier. « La bâtisse ici, elle vaut 16 fois plus que ce que j’ai payé en 1998 », souligne notamment André-Bernard, au sujet de sa propriété qui compte deux grands logements et un local commercial. « J’ai été privilégié par les choix économiques que j’ai faits et j’ai eu de la chance », juge-t-il.

À son décès, André-Bernard souhaite que soit organisée une grande fête en son honneur, lors de laquelle la gastronomie et la musique seront présentes. Mais par-dessus tout, il veut que ses amoureux aient la meilleure qualité de vie possible. Ainsi, l’ensemble des biens non immobiliers d’André-Bernard seront légués à une liste de personnes nommées dans le testament, dont Carol et Pepe sont les principaux bénéficiaires. Il s’y trouve aussi plusieurs personnes importantes qu’il considère comme des « enfants de coeur ».

« La vie a fait qu’on n’a pas eu nos propres enfants. Mais comme on a toujours été très accueillants, plein de gens ont gravité naturellement autour de nous, notamment des Français qui se retrouvaient ici sans famille », rapporte André-Bernard.

Carol a aussi une liste d’héritiers, un peu différente de celle d’André-Bernard. Il lègue sa copropriété à son amoureux, qui lui lègue son triplex en retour. « Le jour où André-Bernard décède, la totalité de la valeur de mon condo retourne à mes héritiers. Et c’est la même chose de l’autre côté », précise Carol. Pepe, qui a un héritage beaucoup plus modeste, a pour l’instant prévu de léguer ses avoirs à un ou des membres de sa famille.

André-Bernard souhaite aussi redonner à des causes qui lui tiennent à coeur, comme celles des communautés LGBTQ+ et des immigrants. Il considère faire des modifications à son testament pour donner davantage à des organismes.

« L’héritage, c’est plus qu’un geste d’affection. C’est l’expression de valeurs », croit-il.

La fin de la famille nucléaire

La tâche était complexe pour s’assurer que les différents avoirs se rendent aux personnes désignées et que la gestion ne soit pas trop lourde pour les successeurs. « C’était plus compliqué que j’aurais pu imaginer, estime Carol. Tu te demandes : ai-je besoin d’une assurance-vie ? Si j’ai des dettes d’hypothèque, quels sont les éléments légaux auxquels réfléchir ? »

Selon André-Bernard, leur situation, bien que complexe, n’est pas si différente de celle des familles recomposées. « Avant, un homme et une femme avaient des enfants et ils donnaient tout leur patrimoine à leurs enfants. Le monde a changé », estime-t-il.

Notaire émérite et médiatrice successorale, Suzanne Hotte fait un constat similaire. Selon elle, au moins 50 % des cas de successions actuels ne correspondent pas à « la famille nucléaire classique ». Les cas de figure sont multiples.

« Dans le cas de mères porteuses, par exemple, si les testaments ne sont pas faits, on va appliquer la loi. Et ce ne sera peut-être pas ce que les gens pensaient ou voulaient », indique Me Hotte.

Les notaires sont outillés pour aider leurs clients à adapter leur testament. « Racontez votre histoire au notaire. Quels enfants vous avez ? Quels conjoints vous avez ? Faites le bilan de ce que vous laissez, explique Me Hotte. Ensuite, comment veut-on avantager les uns et les autres ? On va trouver des idées pour y arriver. Souvent, on ne va pas séparer les avoirs par item ou par pourcentage, parce que votre bilan peut avoir changé à votre décès. Ça peut être de nommer héritiers les personnes les plus significatives et de faire des cadeaux aux autres. »

Chose certaine, si beaucoup de personnes sont susceptibles de se retrouver autour de la même table lors d’un décès, un testament bien planifié permet d’éviter les conflits.

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