SUR LA ROUTE AVEC LA RELèVE à BLEUBLEU : MYKALLE, GABRIELLA OLIVO ET LUAN LAROBINA

On prend la route des festivals de musique québécois avec la relève. Après le Festival Santa Teresa, à Sainte-Thérèse, le Festival de la chanson de Tadoussac et Les Francos de Montréal, cap vers l’est du Québec pour la 6e édition du Festival BleuBleu à Carleton-sur-Mer, en Gaspésie.

Encore tout jeune, le festival de bord de mer a creusé ses premières racines au moment où les grandes questions liées à la diversité des programmations de festivals étaient déjà bien présentes dans la réflexion de l’industrie.

La diversité, la parité hommes-femmes, les efforts de mise en valeur des artistes locaux… Toutes ces préoccupations ont fait partie des bases sur lesquelles s’est érigé BleuBleu en 2019.

À chaque niveau où on peut prendre une décision, on essaie de rentrer dans des quotas, explique la cofondatrice et directrice du festival Anne-Julie St-Laurent. Quota, ça a l'air restrictif comme terme, mais ça se fait vraiment organiquement. On n'y pense pas.

On n'est pas comme un festival qui existe depuis 20 ans et qui a dû changer pour répondre aux nouvelles visions de l’industrie, renchérit sa complice Myriam-Sophie Deslauriers, également cofondatrice et directrice de BleuBleu.

Le duo se souvient de sa première édition, alors que devant une hésitation entre deux groupes de musique dans la programmation, les valeurs d’équité avaient pris le dessus : Il y avait un band qu'on voulait vraiment et si on l’invitait, on n’était plus paritaire, explique Myriam-Sophie. On a tranché en faveur d’une programmation au moins à 50 % féminine et toutes nos décisions ont été guidées par celle-là ensuite.

Faire voyager la nouveauté vers l'est

Les deux organisatrices se targuent également de réussir à faire faire des découvertes, autant aux Gaspésiens et Gaspésiennes qu’aux touristes qui passent par Carleton le temps d’une inspiration musicale dans un décor de vacances.

On commence par trouver deux ou trois artistes plus connus pour nos têtes d’affiche, explique Anne-Julie. Après ça, l'entièreté du festival est basée sur la relève. On se partage des coups de cœur, mais on essaie aussi de faire de la recherche. C'est agréable de faire des petites trouvailles au cours de l’année.

Et rien de plus satisfaisant que de faire faire des découvertes à ceux et celles qui en connaissent déjà beaucoup. J'ai croisé vendredi au spectacle de Sasha Cay, un musicien établi, que je croise souvent à Montréal, rapporte Myriam-Sophie. Il était vraiment content d’avoir vu et entendu Sasha Cay pour la première fois. Il se tient avec des artistes et il fait quand même une découverte en venant à Carleton. Ce n’est pas rien.

L'importance de la bienveillance

L’autrice-compositrice-interprète Gabriella Olivo en était à sa première présence dans un festival en tant qu’artiste. Sortir de Montréal pour venir faire découvrir mes chansons en Gaspésie, c’est vraiment parfait, dit-elle. Ça me permet de m’éloigner énormément de mon public régulier et de profiter de la réputation de BleuBleu qui amène toujours les gens à la rencontre de nouvelles voix sélectionnées avec minutie.

Après la parution d’un premier EP, Sola (2022), l’artiste a continué à composer sans trop savoir ce qu’il adviendrait de ses chansons. Puis, grâce à un contact, elle a pu enregistrer des chansons, l’hiver dernier au Mexique, avec un réalisateur mexicain. J’ai aussi enregistré avec Léo LeBlanc du groupe blesse, l’été passé et avec Simon Kearney, à l’île d’Orléans, énumère la chanteuse. Toutes ces chansons, avec trois réalisateurs différents, ça amène une profondeur à mon prochain EP qui va sortir en novembre prochain.

Les valeurs que prône BleuBleu offrent un climat de bienveillance aux artistes qui s’y produisent et Gabriella en est pleinement consciente. Beaucoup de festivals mettent très peu de femmes sur leurs scènes et ils prétendent que c’est parce qu’elles ne sont pas disponibles ou pas assez nombreuses, relate-t-elle. On le sait, que des femmes en musique, il y en a beaucoup. Je suis fière de jouer dans un festival, mais je suis surtout fière de jouer dans un festival qui comprend ça.

Au public de BleuBleu Gabriella Olivo a fait découvrir ses chansons qui mélangent l’indie folk et les influences latines. Je compose surtout à la guitare et je chante parfois en espagnol , ajoute-t-elle. Durant son expérience d’enregistrement au Mexique, la chanteuse a pu constater que la relation entre les publics et les artistes est très différente d'un pays à l'autre.

Les ponts entre le public et les artistes sont difficiles à bâtir et la construction se fait avec peu de moyens, peu de bras et peu d’outils. Ce sont donc des ponts qui ne tiennent pas toujours bien longtemps.

Il y a, c’est vrai, moins de financement disponible pour les festivals et les petites salles de spectacles, explique Myriam-Sophie, mais au final, le manque de financement sur tous les fronts pénalise la relève. On n’a qu’à penser au financement des médias. Les journalistes qui ont l’espace et les fonds pour couvrir l’émergence sont rendus difficiles à trouver.

Rentabiliser la musique hors Montréal

Après six ans à mener leur barque, les organisatrices du Festival BleuBleu se posent d’ailleurs souvent la question : devra-t-on changer de formule pour être plus rentable? On ne roule pas sur l’or, soutient Anne-Julie et c’est important de savoir que les billets vendus ne nous permettent jamais d’entrer dans notre argent. Ça nous amène à nous demander si, dans un contexte où le financement diminuerait encore, on devrait mettre beaucoup plus de gens très connus dans notre programmation pour rentabiliser nos spectacles au détriment de la relève.

Il y a dans cette prise de position de diffusion de la culture naissante, beaucoup plus qu’une décision personnelle. On trouve ça important d’amener cette offre-là à un public de région, au public de la Gaspésie, qui est si loin de Montréal et qui devrait avoir le droit de voir ce qui se fait de nouveau sur la scène émergente qui, elle, n’a pas souvent l’occasion de sortir de la grande ville, note Myriam-Sophie.

Dans ses chansons, l’autrice-compositrice-interprète Luan Larobina parle entre autres de la Gaspésie, sa région. Beaucoup pensent que certaines de mes chansons sont des chansons d’amour, mais l’amour que j’ai, je le porte à la Gaspésie, dit-elle. Jouer à BleuBleu, ça veut dire beaucoup pour moi parce que je prône depuis longtemps l’importance de proposer des lieux de diffusions intéressants aux artistes partout dans la province et pas seulement à Québec et Montréal.

Finaliste du concours Ma Première Place des Arts (MPPDA) cette année, Luan a complété son parcours à l’école de la chanson de Granby il y a près de trois ans. Elle cumule les expériences avec fierté, autant dans les concours que dans le cadre de formation comme avec les Chansonneurs de Petite-Vallée l’été dernier. Elle fait également partie des 24 finalistes du Festival de la chanson de Granby.

Je trouve que c’est un beau début de carrière, lance-t-elle. Le prix que j’ai gagné à MPPDA me mènera à chanter en France cet été. Je suis en train d’enregistrer un EP de cinq chansons qui va sortir cet automne, explique-t-elle.

Musicalement, Luan mêle l’ensemble des identités qui l’ont forgée. Mon père est un immigrant mexicain et argentin, et j’ai aussi grandi dans la musique du Québec avec Richard Desjardins et Beau Dommage. Je mêle la chanson québécoise, qui est vraiment riche, avec mes influences de type Buena Vista Social Club, explique-t-elle en riant.

Croire que c'est important

Tout comme Gabriella Olivo, Luan Larobina constate le débalancement entre l’offre et la demande en musique. Pour la relève, le plus dur, c’est de continuer à croire que c’est important, ce que l’on fait. On est beaucoup à vouloir faire ça et il n’y pas un public infini. Je pense que créer de la culture, ce sera toujours important, même si la reconnaissance ne vient pas immédiatement.

Pour permettre aux festivaliers de rencontrer ces nouveaux talents, les programmatrices s’assurent de former de bonnes suites d’évènements . Les gens qui viennent à BleuBleu, sont des gens ouverts, nomme Myriam-Sophie. Donc souvent, on va avoir notre tête d’affiche sur le quai, mais il y aura un autre groupe tout de suite après, ou avant, un peu moins connu, mais surtout, il n’y aura aucun autre spectacle en même temps ailleurs. Donc à moins de rentrer chez eux, les gens vont rester là et faire une découverte.

Le contexte de découverte fait également partie des valeurs ajoutées dont profitent les grandes reines de BleuBleu. On a accueilli beaucoup d’artistes qui n'étaient jamais venus jouer en Gaspésie, explique Myriam-Sophie. Je trouve ça vraiment touchant de voir leurs yeux ébahis devant le paysage. Un festival, c'est la rencontre entre le territoire et l'artiste, entre la communauté locale et les gens des autres villes. On travaille vraiment fort pour que ça se fasse bien, qu'il y ait vraiment un contact humain.

Chaque artiste au bon endroit, au bon moment

Mikalle, qui présentait le spectacle en partenariat avec le Festival de Musique du Bout du Monde, au lever du soleil lundi, est un bon exemple de ce que l’on peut voir tout au long du Festival BleuBleu : au sommet du mont Saint-Joseph, dans la petite église, il fallait se faufiler habilement parmi les festivaliers et festivalières qui venaient vivre le moment avec une artiste émergente, et ce, à 4 h 25 du matin.

Vendre plus d’une centaine de billets pour un spectacle aussi tôt, pour une artiste qui n’a pas encore énormément tourné, c’est vraiment fou, dit Myriam-Sophie. Le contexte spectaculaire, il est important. Il change quelque chose et on va continuer à s’en servir.

Mykalle a fait paraître son premier album complet, Da pacem, en janvier dernier. En latin, en grec, en bulgare et en anglais, la chanteuse s’inspire des textes liturgiques pour en faire ses propres chants qui ramènent à la spiritualité qu’on veut bien leur donner. C’est de la musique pour l’âme, pour le cœur, pour entrer en soi, voyager en soi, on s’élève et on va quelque part à l’intérieur de nous où on n’ose pas souvent aller, explique la musicienne.

Ça fait dix ans que je fais de la musique, mais l’album, ça a été une renaissance, pour moi cette année. Rendre ma musique disponible pour les gens, ça a ouvert une immense porte. Je suis dans l’autoproduction, donc mes attentes étaient minimales et elles ont été dépassées, soutient Mykalle.

BleuBleu est le premier festival auquel elle a écrit dans le but d’espérer y jouer. Je connaissais leur réputation. Je savais que les organisatrices cherchaient à créer des expériences pour leur public et que BleuBleu répondait vraiment à mes valeurs. Être vus et entendus, en musique, au Québec, est pour Mykalle, une bataille de type David contre Goliath.

Après six ans d’existence, BleuBleu a gagné le cœur et la confiance de ses citoyens et citoyennes. Les gens comptent sur notre sens de la découverte, réitère Anne-Julie. Ils savent qu’on a choisi des artistes qui vont animer ces lieux-là avec brio, parce que, dans les années passées, ça a marqué leur esprit.

Elle observe aussi que le public de Carleton achète des billets pour des artistes dont il n'a jamais entendu parler. Les gens déposent simplement leur confiance entre les mains de celles qui savent. Une recette gagnante pour comprendre avant tout le monde ce qui animera la scène musicale de demain.

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