THéâTRE - «UNE PLANTE VERTE, VERTE, VERTE»: LA RéVOLTE DES PLANTES

L’été dernier, Jean-Philippe Lehoux avait sillonné les espaces verts montréalais, avec la pièce de baseball Fausse balle, dont il avait eu l’idée. Une aventure « formidable » — « pas une semaine ne passe sans que des gens m’en parlent, c’est fou », dit-il — qui a réussi à attirer dans les stades un public ne fréquentant habituellement pas les théâtres.

On pourrait penser que cette saison-ci, avec un premier texte créé au Petit Théâtre du Nord, à Boisbriand, le dramaturge reviendrait à une forme théâtrale plus conventionnelle. Mais Une plante verte, verte, verte explore une dimension rarement incarnée sur scène : le règne végétal.

Une comédie estivale qui a germé grâce à la lecture d’un ouvrage… scientifique sur les plantes, par son grand complice, le metteur en scène Charles Dauphinais — qui a contribué au processus d’écriture. L’auteur de Comment je suis devenue touriste et de Napoléon voyage apprécie beaucoup le lien tissé entre le théâtre et les sciences humaines. « J’aime m’emparer soit de philosophie, de pensées politiques ou sociologiques, mais pour essayer de rendre [ces idées] plus digestes peut-être, plus ludiques, explique Jean-Philippe Lehoux. Ça reste un divertissement. Et tant mieux s’il y a des réflexions qui jaillissent. » Le dramaturge croit de toute façon que durant la saison chaude, contrairement aux idées reçues, les spectateurs sont plus disponibles mentalement. « L’été est un espace qu’on devrait investir davantage en théâtre. Il y a place pour faire tout ce qu’on veut. »

Chez le duo créatif d’Une plante verte, verte, verte, le déclic a surgi d’une observation dans un livre de Stefano Mancuso, un botaniste italien réputé. « Il relevait que dans la Bible, Noé n’avait pas emporté de plantes sur son arche. Ce qui est un non-sens. C’est quand même étrange qu’un des plus grands mythes fondateurs de l’Occident soit basé sur la présomption qu’on peut se passer de plantes. » Comment donc pourrait-on recréer de la vie sur Terre après le déluge, sans ces productrices de photosynthèse ?

Pour Jean-Philippe Lehoux, cette anecdote prouve que les humains perçoivent « depuis très longtemps les végétaux comme accessoires, alors que c’est extraordinairement vital : la grande partie de la biomasse sur Terre est composée de végétaux ». Une vision qui alimente notre vanité, notre prétention d’être « au sommet de la pyramide, alors que c’est complètement faux. Et c’est devenu notre moteur d’écriture, parce qu’on ne voulait pas faire un show didactique sur les plantes ». La pièce s’appuie sur la relation que l’être humain cultive avec elles : « Cette vanité qui, à mon avis, est cousine de l’idiotie. Plus on se prend pour d’autres, plus on devient très idiot, parce qu’on se met les pieds dans les plats, qu’on dit des choses complètement aberrantes. »

Lui-même, a-t-il constaté, entretient généralement « un rapport assez indifférent aux plantes. Pourtant, je suis fils de biologiste, la nature a toujours été très présente chez nous ! » Mais cette relation évolue depuis qu’il se documente sur ce monde fascinant.

Petits organismes verts

Empruntant à divers genres (science-fiction, film d’horreur de série B), Une plante verte, verte, verte repose sur une prémisse apocalyptique : les végétaux se mettent à faire la grève de la photosynthèse sur notre planète, menaçant le taux d’oxygène dans l’atmosphère. Certains tentent alors d’établir un contact avec ces petits organismes verts pour connaître leurs intentions.

Mais pas facile de communiquer avec ce qui reste un mystère… « Évidemment, tout ce que la plante leur oppose, c’est un silence, dit Jean-Philippe Lehoux. Pour nous, humains qui essayons de comprendre les choses, c’est violent, ce silence-là. Et c’est pourquoi on trouvait que c’était drôle de faire des plantes une menace, pourquoi on a choisi l’angle de la série B, du suspense. C’est facile de créer une menace avec pas grand-chose : on met une plante verte sur scène, avec une musique un peu tendue et un être humain qui la regarde avec appréhension. Et tout de suite, on interprète, on leur invente des intentions. »

Conçue comme une suite de variations sur le thème de départ, le rapport présomptueux de l’humain à la nature, cette comédie éclatée vogue entre quelques groupes de personnages. On y voyage d’un laboratoire américain à une réserve mondiale de semences, en passant par les tribulations d’un road trip familial. « Les univers résonnent entre eux, mais ne se répondent pas directement, explique l’auteur. On est comme dans une pièce à sketchs, mais avec un tronc commun — sans mauvais jeu de mots. On a peaufiné la dramaturgie pour qu’il y ait une histoire. Reste que chacune des quatre ou cinq trames cohabitant dans le spectacle a ses couleurs propres. Et ce sont surtout les conceptrices — parce qu’on a cinq jeunes conceptrices, c’est assez phénoménal — qui s’amusent beaucoup avec ça. » Le spectacle joue aussi avec les codes de la représentation ; on n’en dit pas plus…

Enjeu environnemental

Au cours de l’écriture, les créateurs ont été amenés à définir ce qui distingue l’être humain. Au-delà des traits évidents (être capable d’une pensée conceptuelle, avoir un gros cerveau, de l’humour et un menton), ils ont compris que « ce qui est vraiment au coeur de notre humanité, au fond », c’est le partage de référents culturels communs. Surtout issus de la culture populaire. « Le thème du film Jaws, par exemple, est reconnu par tout le monde. Et c’est assez inquiétant, dans un sens, que finalement, on se sert surtout de notre intelligence pour construire ces référents. Si on allait voir au creux de notre cerveau humain, on serait vraiment baignés de clichés. On s’en moque un peu dans le spectacle. »

Concernant l’importance de notre rapport à la nature, Jean-Philippe Lehoux a l’impression que ce n’est pas tant la conscience qui nous fait défaut. « Je pense qu’on manque d’outils cognitifs pour être vraiment partie prenante de la nature. On s’est tellement extraits de cette nature pour se créer une culture — ce qui est correct, ça fait partie de notre intelligence. Mais on en est si loin qu’on ne sait plus comment naviguer dans ce monde-là. »

Bien sûr, impossible désormais de ne pas penser à la crise climatique. Selon l’auteur, cette question est présente dans la pièce, mais en filigrane. « On ne voulait pas le traiter directement, donc on passe par une grande métaphore, qui illustre notre incapacité à réagir rapidement aux changements qui s’en viennent. »

Mais il y a aussi là, « mine de rien », une célébration de la résilience des végétaux. « On le sait qu’on va disparaître un jour, on le voit même avec l’intelligence artificielle, qui risque de nous dépasser très bientôt. Mais la vie va continuer. Les plantes sont aussi évoluées que nous, même au niveau de l’intelligence. C’est ce que les botanistes nous [démontrent]. Et je trouve quand même rassurant de savoir qu’il y aura de la vie intelligente sur Terre, même si ce n’est pas l’Homo sapiens sapiens. Ça va continuer, malgré tout. Ce n’est pas notre forme d’intelligence, mais il y en a une qui est tout aussi belle et aussi forte — peut-être même plus. Alors pourquoi ne pas avoir l’humilité de le reconnaître ? »

2024-06-22T04:24:14Z dg43tfdfdgfd