SIMON BERTRAND ANOBLIT LE THéRéMINE

L’Orchestre Métropolitain met à son programme cette semaine un concerto bien étrange, écrit pour un instrument qui a longtemps paru désuet : le thérémine. Simon Bertrand a composé une oeuvre pour le centenaire de l’invention, en 1920, de cet ancêtre des instruments de musique électronique.

Cinq moments dans la vie trépidante de Léon Théremine est le titre de ce concerto pour thérémine qui retracera la vie de Lev Sergueïevitch Termen, plus connu sous le nom calquant celui de l’instrument qu’il a inventé.

Si le son d’un thérémine rappelle celui des ondes Martenot, le compositeur Simon Bertrand résume parfaitement leur différence essentielle. « Dans les ondes Martenot, on a un clavier, c’est-à-dire des repères visuels, alors que dans le thérémine, on n’a aucun repère visuel, sauf le mouvement de la main dans le vide. Chaque petit mouvement de la main fait osciller et changer les notes. »

C’est le mouvement devant le signal électrique qui affecte la fréquence, une main pilotant la hauteur, l’autre le volume. « C’est un instrument redoutablement difficile à jouer, même pour un musicien qui a l’oreille absolue. J’ai moi-même beaucoup de difficulté à jouer Frère Jacques là-dessus. Il faut avoir une oreille extrêmement précise et contrôler chaque mouvement », dit Simon Bertrand.

Utilisation au cinéma

Simon Bertrand a composé cette oeuvre hommage à la vie de Léon Thérémine pour son ami, le théréministe Thorwald Jørgensen. En effet, cet instrument manque singulièrement d’oeuvres « nobles ». « Il a été très populaire dans les années 1950 ou 1960, car très utilisé au cinéma dans les films de série B, les films de science-fiction, joué d’une certaine manière avec des sonorités un peu effrayantes pour des effets d’horreur. Il a fait ensuite un retour dans Mars Attacks! de Tim Burton. »

Simon Bertrand souligne que Thorwald Jørgensen « ne joue pas du tout le thérémine comme dans les années 1950, avec un gros vibrato et des sonorités de films d’horreur ».

Le compositeur a en mémoire un seul concerto existant : celui du compositeur chypriote Anis Fuleihan, joué par la vedette du thérémine aux États-Unis, Clara Rockmore (1911-1998). Il en existe un document avec le Philharmonique de New York sous la direction de Leopold Stokowski.

Pour notre part, nous avions senti le potentiel d’un retour en grâce de l’instrument lors du Festival international du film sur l’art 2021, qui projetait à Montréal un documentaire sur le compositeur Régis Campo. Le Devoir recommandait alors de « ne pas manquer l’oeuvre Dancefloor with Pulsing, l’excellente idée d’un spectaculaire scherzo pour thérémine et orchestre ».

Biographie et censure

Cinq moments dans la vie trépidante de Léon Théremine est « davantage construit comme une symphonie que comme un concerto : il y a une ouverture, un allegro, un mouvement lent (dédié à la mémoire de Lise Beauchamp), un scherzo et un finale », explique le compositeur. Des sous-titres éloquents accompagnent le récit.

« En lisant sur la vie incroyable de cet homme incroyable, l’idée d’une biographie musicale en choisissant cinq moments importants de sa vie s’est imposée. » Simon Bertrand souligne que cette décision avait été prise « bien avant la pandémie et la guerre en Ukraine ». S’il le précise, c’est que l’une et l’autre ont compliqué les choses.

Pour diffuser le concerto, puisque le répertoire est en manque, il était ainsi question d’un concert à Lviv, en Ukraine. Ce projet a été annulé. « Ils ont trouvé qu’il y avait trop de références russes dans le concerto », se désole Simon Bertrand. « Or, de quoi s’agit-il ? Je raconte dans mon concerto la vie d’un être humain qui s’avère être d’origine russe, mais c’est un homme du monde qui a fui l’URSS, est venu aux États-Unis, a épousé une femme afro-américaine dans une Amérique ségrégationniste, puis a été emprisonné au goulag à son retour en URSS. Par ailleurs, je fais une citation de deux mesures de l’hymne russe pour exprimer son déchirement entre deux pays, car on dit qu’il a été kidnappé et ramené de force en URSS. »

Simon Bertrand est très contrarié par cette rebuffade. « Regardez José Evangélista, compositeur espagnol d’origine catalane qui vivait au Québec et composait de la musique inspirée de Bali ! Si, à l’opposé, nous allons vers un monde où chacun s’isole et ne fait qu’un art rattaché à sa propre culture et à son appartenance à un groupe ou à une communauté au nom d’une rectitude politique, on en arrive à renoncer à une notion de l’art comme un langage universel qui aspire à tout le contraire, c’est-à-dire à réunir des sensibilités, des communautés et des cultures différentes. Je fais de la musique pour aller à la rencontre de l’autre, à la rencontre d’autres modes de pensée, d’autres modes d’expression. »

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