PAS DE POLITIQUE AVEC OUMOU SANGARé

Après 13 ans d’absence sur une scène montréalaise, l’emblématique chanteuse de la culture wassouloue Oumou Sangaré revient pour offrir les chansons de son plus récent album, Timbuktu (2022), sur lequel « on sent la musicienne qui a voyagé depuis 34 ans », résume l’autrice, compositrice, interprète et entrepreneuse malienne, qui n’a pas pu s’empêcher de parler de politique avec Le Devoir, même si son entourage nous demandait d’éviter le sujet.

Treize ans depuis votre dernier concert chez nous ? Vous nous avez négligés, Madame ! « Mais non ! rétorque-t-elle en riant. Jamais je ne négligerais mon public canadien, qui m’a soutenue depuis le début de ma carrière » internationale, laquelle s’est amorcée alors qu’elle n’avait encore que 21 ans. « Dans les années 1990, enchaîne-t-elle, je venais régulièrement au Canada », la jeune musicienne à la voix forte et claire chantant les mélodies du peuple wassoulou, région de l’Afrique de l’Ouest ayant pour capitale officieuse Yanfolila, à quelque 250 kilomètres de Bamako.

C’est là qu’Oumou Sangaré organise le Festival international du Wassoulou (FIWA), dont la septième édition s’est déroulée du 29 février au 2 mars derniers. « Et c’est fatigant ! souffle-t-elle. On accueille 460 000 personnes en trois jours, parce que le Wassoulou est un carrefour, faisant frontière avec le Mali, la Guinée Conakry et la Côte d’Ivoire. Alors les gens viennent, à vélo de la Guinée, à moto du Mali, en voiture de la Côte d’Ivoire, et ça devient une fête colossale, inoubliable. »

« Et ce festival que j’organise avec la jeunesse wassouloue, il est gratuit, enchaîne-t-elle ; au début, c’est moi-même qui mettais la main dans ma poche pour financer l’événement. Alors, à la fin du festival, je suis épuisée. Aller me reposer en France ? Pas possible, trop de fans. Aux États-Unis, ça va, je peux passer inaperçue. Alors je suis venue ici prendre deux semaines de repos ! » badine-t-elle.

Des vacances, durant lesquelles elle aura donné 17 concerts, d’autant plus attendus que la Malienne fut couverte d’éloges à la sortie de Timbuktu, son neuvième album en carrière. Réalisé par le Français Pascal Danaë, du groupe Delgres, l’album offre l’occasion à Oumou Sangaré de « rafraîchir ma musique. Parce que le monde évolue, hein ! Il faut marcher avec le monde, tout en faisant attention de bien préserver sa culture, pour ne pas la perdre complètement. Mais il ne faut pas faire de surplace », en donnant ici un souffle blues électrique au bagage rythmique wassoulou.

Représenter

Un souffle opportun, la dernière décennie ayant vu portés sur les plus grandes scènes ces grooves du Sahel, incarné par Bombino, Mdou Moctar, Tinariwen, cousins musicaux du son des Wassoulous que défend Oumou Sangaré depuis plus de trois décennies. C’est sans compter sur la déferlante afrobeats, sa prestigieuse liste de nouvelles pop stars, Wizkid, Burna Boy, Tems, Davido, Ayra Starr, Yemi Alade…

« Et Aya Nakamura — n’oubliez pas ma fille ! » s’exclame Oumou Sangaré. Mais Madame, ne fallait-il pas éviter les sujets politiques ? La polémique autour de la présumée performance de la star franco-malienne lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris est loin d’être éteinte ! « Mais c’est l’artiste de France la plus écoutée dans le monde ! »

« Je n’aime pas la politique, c’est vrai, je suis apolitique », abonde la musicienne, consciente qu’au-delà de cette polémique amenée par l’extrême droite française se pose aussi la question de la délicate relation diplomatique entre le Mali et la France, qui y a retiré ses troupes militaires à l’été 2022.

« Le Mali ne cherche pas l’affrontement, le pays cherche son autonomie. Et il cherche un partenariat [avec la France] gagnant-gagnant. Et le fait qu’elle aille représenter la France à cette cérémonie est un grand geste, bien qu’elle la représente déjà, par sa musique, partout dans le monde », note Oumou Sangaré, qui, le mois dernier, a été nommée Officier des arts et des lettres par la République française. « La France montre encore son attachement à la culture malienne, et je la félicite. Aya Nakamura représente dignement la France. »

La perle

« Mon combat, mon rythme, c’est celui du Wassoulou ; tout le reste vient s’ajouter à ce rythme », lance Oumou Sangaré. Un rythme festif souvent, mais grave aussi sur ce récent album ayant pour titre le nom d’une cité ancestrale surnommée la Perle du désert, classée au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. « Si je devais vous la décrire, c’est une merveille érigée au milieu du désert. L’architecture unique, tout en étages. Tout est en sable, mais c’est un paradis sur terre, tout y est si joli. Ah oui, Tombouctou, c’est la merveille du désert… »

Oumou Sangaré porte son regard vers le plafond en prononçant cette dernière phrase, sur un ton mélancolique. Sa perle, aujourd’hui, est le théâtre d’affrontements armés qui terrorisent la population. « C’est émotif pour moi de chanter cette ville, avec tout ce que mon pays traverse actuellement. » Toujours secoué par un coup d’État survenu en 2020, le peuple malien espérait que la période de transition mène à des élections présidentielles, initialement annoncées pour mars 2024 ; le 10 avril dernier, les autorités au pouvoir ont « suspendu » les « activités des partis politiques et des activités à caractère politiques des associations », repoussant encore plus loin le calendrier électoral.

« Tombouctou a été saccagée par les djihadistes, les beaux mausolées détruits, ça me donne envie de crier pour ce qu’on a fait à cette belle ville historique. Tous nos repères sont en train d’être détruits. Pour moi, chanter ces chansons, c’est une manière d’essayer de soulager ce peuple magnifique qui vit dans le désert, et la paix, tranquille, depuis des siècles. »

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