REPOSITIONNER RIOPELLE AU CENTRE DE LA MéMOIRE COLLECTIVE

Les célébrations du 100e anniversaire de naissance de Jean Paul Riopelle s’enchaînent maintenant sur le chantier du futur Espace Riopelle au MNBAQ. Second volet d’un diptyque sur Riopelle, artiste officiel.

Ce qui est bon pour un musée ne l’est pas forcément pour un autre. Vérité en deçà de l’Outaouais, erreur au-delà…

Le projet d’une grande rétrospective consacrée à l’oeuvre de Jean Paul Riopelle (1923-2002) à l’occasion de son centenaire de naissance a été proposé à la direction du Musée des beaux-arts du Canada, qui a « tout fait pour empêcher cette exposition », selon une déclaration à Radio-Canada du collectionneur et mécène Pierre Lassonde, cofondateur de la Fondation Riopelle. Le grand musée canadien était alors en pleine refonte décolonisatrice et un ixième solo consacré à un homme blanc moderniste ne cadrait pas dans le nouveau paradigme. L’exposition s’est finalement faite à force de pressions, mais la controverse a éclaboussé la direction du MBAC (remplacée depuis) et brouillé les relations avec certains grands collectionneurs.

La Fondation Riopelle, créée en 2018, a aussi été déçue par la volte-face du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), qui a d’abord accepté puis refusé le projet de construction d’une aile ad hoc, officiellement pour cause de manque de fonds. C’est finalement au Musée national des beaux-arts de Québec (MNBAQ) que l’Espace Riopelle verra le jour. Le chantier vient de s’ouvrir.

« Il a fallu laisser le temps aux gens de la Fondation de déconstruire leur rêve de s’installer à Montréal », dans la ville natale de Riopelle, dit Jean-Luc Murray, directeur du MNBAQ, lui-même un ancien du MBAM. « On a construit notre narratif. On a convaincu le gouvernement de lancer un concours d’architecture. On a rencontré les mécènes. Un lien de confiance a été établi. La relation est positive parce qu’ils sont animés du même rêve de rendre l’art accessible au plus grand nombre. »

Beaucoup de bruit

La Fondation s’active pour « célébrer et faire connaître l’importance » de son héros. Les célébrations du centenaire, étendues autour de 2023, cumulent des dizaines d’activités et d’événements, dont plusieurs expositions (à Joliette, à Sherbrooke, au centre Pompidou à Paris, à la Fondation Maeght en Provence…), une oeuvre symphonique, des spectacles, etc. L’école primaire du peintre, sur le Plateau-Mont-Royal, a été rebaptisée en son nom. L’Espace Riopelle poursuit maintenant cette volonté de repositionner le plus célèbre artiste visuel du XXe siècle au Québec au centre de la mémoire collective, en quelque sorte comme artiste officiel.

Sauf que ce genre de lieu à la gloire d’un seul artiste est rarement rattaché à un musée. Le modèle mondial favorise des installations autonomes dans un lieu qui est consacré à l’artiste. C’est le modèle de la Fondation Guido Molinari à Montréal.

« On n’est pas à la Fondation Picasso : on n’a ni corpus d’oeuvres ni infrastructures », explique Manon Gauthier, directrice générale de la Fondation Riopelle et commissaire générale des célébrations du 100e. Elle a été jointe à Vancouver, au siège de l’organisme. « On n’a pas de parc immobilier et on n’a pas établi cette structure avec un fonds de dotation pour entrer dans la ligue des grandes fondations internationales. Le but principal, c’est de redonner à Riopelle la place qu’il occupe dans l’histoire de l’art québécois, d’abord, puis canadien et international, en s’assurant que toutes nos actions aient une pérennité. Le projet d’Espace Riopelle [un titre provisoire] est une façon de penser à ce qui va durer au-delà des célébrations. »

Y a-t-il quand même un danger que le MNBAQ devienne surtout le Musée national de Riopelle ? D’autant plus que le directeur avoue vouloir profiter de sa réputation internationale, diminuée mais réelle, comme levier pour attirer des visiteurs étrangers.

« Je veux insister sur le côté très pragmatique du projet, qui a plein d’avantages pour le musée, entre autres de peut-être donner plus d’attractivité à la collection nationale en misant sur un artiste connu ici et dans le monde, poursuit M. Murray. […] On a mis beaucoup d’efforts pour que le pavillon offre une boucle avec la collection nationale. En même temps, on est tout à fait conscients du rôle qu’on joue dans la construction d’une identité nationale en faisant un champion de Riopelle, qui l’est déjà en fait. »

Follow the money

Le chantier de plus de 80 millions de dollars s’arrime à une donation exceptionnelle de plus de 60 oeuvres de Pierre Lassonde et Michael Audain, à l’origine de la Fondation avec d’autres grands collectionneurs, dont France Chrétien-Desmarais, André Desmarais et l’ex-sénateur Serge Joyal, trio lié au consortium Power Corporation, qui possède une des plus belles collections d’oeuvres du peintre. La fille du maître moderne, Yseult Riopelle, est aussi du nombre. Elle poursuit la tâche de constituer le catalogue raisonné des oeuvres de son père.

« Si on avait des centaines de millions pour faire des acquisitions, on ne serait pas dans la même discussion aujourd’hui », avoue encore M. Murray en référence au système canadien qui laisse les collectionneurs privés faire des dons aux musées en échange de déductions fiscales en lieu et place d’importants fonds d’acquisition fournis aux établissements. « On va enrichir notre collection en dons absolument incroyables d’une valeur de 120 millions. Ce qui est intéressant pour nous, c’est la relation avec les mécènes, le lien de confiance, le fait qu’ils ont le bon réflexe de vouloir rapatrier les oeuvres de Riopelle dans un établissement national. »

Reste que le vent tourne dans les musées du monde, critiqués comme lieux majeurs de la colonisation. « Pour nous, ces contradictions peuvent être surmontées par la volonté de s’ouvrir sur l’époque contemporaine et sur la capacité de Riopelle de créer des ponts avec la situation actuelle, réplique Mme Gauthier. C’est l’objectif. On ferait erreur autrement. On peut conjuguer le passé, le présent et l’avenir. »

Le directeur Murray, lui, entend tirer des leçons de ce qui vient de se passer outre-Outaouais. « Vous avez vu ce qui s’est passé à Ottawa ? demande-t-il. Des fois, quand on va trop vite, ce n’est pas pertinent pour l’organisation. Quand on n’est pas aligné avec ses réalités, son identité, ses collections, c’est compliqué. [….] On se fait confiance sur la façon dont on va aborder la présentation des oeuvres de Riopelle et leur mise en dialogue avec des artistes contemporains. Ça va être fascinant de voir comment les musées vont se redéfinir, et nous, on travaille sur du long terme. »

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