Le clivage entre les critiques et le grand public est probablement un sujet aussi vieux que l’invention du cinéma par les frères Lumière. Mais dans les dernières années, le fossé se serait-il encore creusé ? Avec pour preuve le dernier Astérix et Obélix, vilipendé par la critique, mais qui s’avère être le meilleur démarrage pour un film français en salle depuis longtemps.
Certains parlent du meilleur démarrage en 15 ans pour un film français, même si les chiffres d’assistance font débat, comme les billets vendus en avant-première ont été comptabilisés. Mais le fait est qu’avec 1,6 million d’entrées après une semaine à l’affiche, Astérix et Obélix. L’Empire du Milieu connaît un départ fulgurant en France, alors que le cinéma national connaît une grave crise.
Même au Québec, le film de Guillaume Canet fait bonne figure en se hissant lors de son premier week-end en deuxième position du box-office avec plus de 200 000 $ de profits. Il est devancé par Avatar: The Way of Water, indélogeable depuis huit semaines, même si la superproduction hollywoodienne n’a pas non plus été épargnée par la presse. C’est ce qui fait dire à l’homme d’affaires Vincent Guzzo, propriétaire de la chaîne de cinémas du même nom, que l’opinion des critiques ne compte pas pour grand-chose au bout du compte.
« Que les critiques disent qu’un film à gros budget est un navet, ou qu’ils disent que ce n’est pas si pire que ça, on s’en fout un peu. Elvis Gratton et Les Boys ont fait de gros chiffres, même si la critique les a démolis. Je ne veux pas être impoli, mais la grande majorité des gens s’en câlice un peu de vos 1 étoile et de vos 5 étoiles », résume-t-il, avec le langage fleuri qu’on lui connaît.
Franc-tireur, Vincent Guzzo n’est pas tendre envers les journalistes. Comme les politiciens, il les accuse d’être de plus en plus déconnectés du reste de la population. « Moi, quand je vois un film, je ne le regarde pas en tant que Vincent Guzzo. Je le regarde en tant qu’homme d’affaires, en tant que propriétaire de salles. Je pense au potentiel commercial de chaque film. Et les critiques devraient faire la même chose. Plutôt que de donner ton opinion personnelle, essaie de te mettre à la place de monsieur madame Tout-le-Monde », suggère-t-il.
De réduire ainsi les critiques à une vision élitiste est franchement malhonnête, rétorque le professeur de cinéma Jean-Pierre Sirois-Trahan. Ce reproche, largement relayé dans le milieu du cinéma commercial, ne passe tout simplement pas l’épreuve des faits, note celui qui donne un cours sur la critique à l’Université Laval.
« Il y a sûrement des critiques élitistes, mais la critique n’est pas élitiste. La preuve, c’est que les critiques ont généralement été bonnes pour Top Gun, alors que ça a été le film le plus populaire l’an passé. Il y en a qui vont dire que tout ce que Hollywood fait est mauvais, mais ça, ce ne sont pas des critiques, ce sont des militants. Les vrais critiques croient que tous les films naissent égaux, qu’ils aient un budget de 10 000 dollars ou de 10 millions. Il y a de bons films commerciaux et de mauvais films indépendants », affirme-t-il. Jean-Pierre Sirois-Trahan rappelle du même souffle que le premier Avatar, de même qu’Astérix et Obélix. Mission Cléopâtre, avaient été salués dans les médias, aussi commerciaux soient-ils.
Pour cet enseignant, la critique a surtout une influence à long terme sur les blockbusters. C’est elle en partie qui élèvera tel ou tel film au rang de classique dans la postérité. La critique a aussi le pouvoir d’influencer les réalisateurs dans leurs choix. « Tarantino a lui-même dit avoir été influencé par Pauline Kael [légendaire critique de cinéma du New Yorker] », illustre-t-il. Dans l’immédiat, il concède toutefois qu’une mauvaise critique a plus de chances de plomber un Almodóvar ou un Dolan qu’un film de Marvel.
Le film de Noël 23 décembre, par exemple, a reçu un accueil partagé dans les médias à sa sortie, ce qui ne l’a en rien empêché de devenir le long métrage québécois le plus rentable de l’année en dépassant le cap des 2 millions de dollars au box-office. Le distributeur de cette comédie romantique, Patrick Roy, croit cependant que les chiffres auraient pu être encore mieux si les critiques avaient été plus favorables. Bref, même pour un film à vocation grand public, la critique aurait bel et bien une influence, même marginale.
« C’est impossible de dire combien de personnes de plus seraient venues, mais c’est sûr que si Sophie Durocher dans Le Journal de Montréal avait aimé ça, ça aurait eu un impact. Mais je pense quand même que la critique est moins importante qu’elle l’était. Le fossé s’est agrandi dans les dernières années et les gens se fient davantage à ce qu’on écrit sur les réseaux sociaux », souligne Patrick Roy, président d’Immina Films.
Le critique Michel Coulombe reconnaît que les gens de sa profession vivent dans une bulle, peut-être même plus qu’avant. Mais ce n’est pas réellement par snobisme que l’écart se creuse, au Québec du moins, précise celui que l’on peut régulièrement entendre à Radio-Canada. Si les critiques sont de plus en plus déconnectés, c’est surtout à cause de l’avènement des plateformes, selon lui.
« Moi, par exemple, quand j’ai regardé Roma ou The Power of the Dog, j’étais avec d’autres journalistes dans une salle. Ce n’est pas du tout la même expérience que seul à la maison, sur un portable ou sur une tablette. Ce sont deux films très contemplatifs que l’on ne peut apprécier pleinement qu’au cinéma, d’après moi. Je comprendrais que les gens qui les ont visionnés sur Netflix n’aient pas autant aimé ces films », explique l’auteur de l’ouvrage Le Québec au cinéma.
Cela dit, les critiques et le grand public ont toujours eu des goûts souvent diamétralement opposés en matière de cinéma. Et les deux solitudes ne sont pas près de se rapprocher. « Le public et la critique, c’est toujours comme le coeur et la raison. Pour Astérix, par exemple, la critique regarde ça avec distance, sans émotion. Le public, lui, regarde ça avec quelque chose qui tient de l’attachement, de la nostalgie, des souvenirs partagés. Donc même si la critique est mauvaise, ça n’a pas vraiment d’importance dans ce cas-ci », tranche Michel Coulombe.
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