«LA TéLé QUéBéCOISE POURRAIT êTRE MEILLEURE»

Richard Blaimert est l’un des auteurs les plus prolifiques du petit écran au Québec. On lui doit des séries à succès comme Le monde de Charlotte, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Nouvelle adresse ou plus récemment Cerebrum. À l’aube de la soixantaine, le scénariste a toujours le feu sacré, mais le manque de moyens lui paraît plus lourd qu’avant. Avec les années, les budgets de production ont stagné. Le nombre de jours de tournage a diminué. Et forcément, la qualité des oeuvres en pâtit, regrette-t-il.

« De là à dire que la télévision québécoise est moins bonne qu’avant : quand même pas. Je pense que l’on s’est beaucoup améliorés dans la manière de raconter nos histoires depuis que j’ai commencé. On a développé une expertise en scénarisation que l’on n’avait pas. Mais est-ce qu’on pourrait être meilleurs ? Oui, certainement », a-t-il laissé tomber en entrevue avec Le Devoir.

Le scénariste est de ceux qui croient qu’une réflexion s’impose sur la répartition du financement. Dans les dernières années, les fonds alloués à la production québécoise ont certes augmenté, mais bien moins rapidement que le nombre de projets télévisuels. En 2017-2018, le Fonds des médias du Canada avait soutenu 37 émissions de fiction au Québec. Cinq ans plus tard, ce chiffre s’élevait à 65, à cause de la reprise post-pandémique, mais aussi à cause de l’émergence des plateformes, qui sont gourmandes en nouveaux contenus.

Le temps est peut-être venu de produire moins, quitte à bonifier les budgets des projets les plus porteurs, ose avancer Richard Blaimert, conscient que tous ne partageront pas son avis. « On ne réussira jamais à compétitionner Netflix et compagnie. Mais on devrait au moins sélectionner quelques séries pour leur donner plus les moyens de leurs ambitions », plaide celui qui habite Los Angeles depuis une vingtaine d’années.

Projet atypique

Il était de passage cette semaine à Montréal pour faire la promotion de la troisième et dernière saison du drame policier Cerebrum, que les abonnés de Tou.tv pourront visionner à partir du 4 juillet. Pour la première fois cette année, les téléspectateurs sauront dès le premier épisode qui est le meurtrier. « Je voulais renouveler la formule. Mais je n’ai jamais ramé autant pour l’écriture d’une série. Ça a été un gros défi d’essayer de garder l’intrigue intéressante pour 10 épisodes », confie l’auteur, qui parle de Cerebrum comme de son « projet le plus atypique » en carrière.

Le développement de cette série a en tout cas été pour le moins sinueux. Les tournages ont été repoussés par la pandémie. Claude Legault, l’un des acteurs principaux de la série avec Christine Beaulieu, a dû être remplacé par François Papineau entre la première et la deuxième saison à la suite de son épuisement professionnel. Et comme toujours, plusieurs éléments du script d’origine ont dû être retranchés en cours de route, faute d’argent et de temps.

« Pour faire tout ce que je voulais dans la première saison de Cerebrum, par exemple, j’aurais eu besoin de 82 jours, alors que j’avais droit à 60. Ça fait qu’il faut couper plein d’affaires et faire des choix difficiles. C’est un métier de compromis. Mais quand on te demande de réécrire un épisode, pas parce qu’il n’est pas bon, mais parce qu’on n’a pas les budgets, c’est frustrant. À la longue, ça finit par miner. J’aime toujours ce que je fais, mais si je prends ma retraite, ce sera à cause de ça », évoque Richard Blaimert, qui a également réalisé avec Guy Édoin la première saison de Cerebrum.

Les Cadillac et les jeunes

Le temps de tournage de plus en plus limité restreint le nombre de prises. Les acteurs n’ont presque plus le droit à l’erreur. En résultent parfois des différences de niveau de jeu. Mais cette réalité a surtout pour effet de pousser les agents de distribution à toujours embaucher les mêmes acteurs, qu’on sait capables de livrer la marchandise.

« Les gens chialent qu’on voie toujours les mêmes faces. Mais si on prend toujours les mêmes acteurs, c’est parce que ce sont les meilleurs. Dans le métier, on les appelle les Cadillac. Ce sont les Claude Legault et les Julie Le Breton de ce monde. On sait qu’ils vont être bons du premier coup. Un acteur qui joue moins souvent, ça se peut que les premières prises, il soit stressé. Et c’est normal. Mais nous, on est limité. Si on prend plus de temps avec un acteur, ça décale tout le reste du tournage », illustre Richard Blaimert.

Pour sa nouvelle série, Le retour d’Anna Brodeur, Richard Blaimert se réjouit de pouvoir compter sur plusieurs de ces « Cadillac » comme têtes d’affiche, comme Julie Le Breton, mais aussi Patrick Hivon, Benoît McGinnis et Élise Guilbault. Les tournages ont débuté et Richard Blaimert travaille ces jours-ci à finaliser le scénario des derniers épisodes de la première saison.

Il a écrit cette comédie dramatique, qui sera relayée sur Crave à l’automne, en tentant de s’affranchir autant que possible des considérations commerciales, sans avoir de public cible en tête. « C’est normal que le ministre de la Culture et les diffuseurs soient préoccupés par l’idée que la télévision québécoise rajeunisse son public. Mais moi, c’est une pression que je ne veux pas me mettre sur les épaules. J’écris pour divertir. Et tant mieux si ça rejoint aussi des jeunes », raisonne-t-il.

La désaffection des jeunes pour la télévision est devenue le sujet de l’heure dans l’industrie depuis quelques années. Richard Blaimert se demande si on ne s’en fait pas un peu trop parfois. « On dit que les jeunes de 30 ans écoutent juste Netflix. Mais moi, à leur âge, j’écoutais juste les séries de HBO aussi. Je n’écoutais pas beaucoup la télé québécoise », souligne l’auteur, reconnaissant que la télévision québécoise est confrontée à d’énormes défis, mais refusant de verser dans le catastrophisme ambiant.

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