LA SèVE DE RACHMANINOV, LA DéMONSTRATION DE PHILADELPHIE

L’Orchestre de Philadelphie et Yannick Nézet-Séguin étaient en visite à Montréal, vendredi, hôtes de l’Orchestre Métropolitain. En matière d’orchestres en tournée de passage à la Maison symphonique, l’expérience fut encore plus exaltante que le récent concert de l’Orchestre de Paris, pourtant impressionnant sous la direction de Klaus Mäkelä.

Si l’Orchestre de Philadelphie fait partie des « Big 5 », ce n’est pas un hasard. Mais même dans ce club fermé il y a des échelles de valeur. La dernière fois que nous avons vu pareille démonstration et expertise à un tel niveau, c’était Georg Solti et son Symphonique de Chicago dans la 4e Symphonie de Tchaïkovski, au milieu des années 80, à Paris.

Il y a le son d’ensemble, rond et puissant, que Yannick Nézet-Séguin a fait valoir dès la Symphonie n° 4 de Florence Price. Mais les éléments exceptionnels, ce sont ces interventions de cuivres, qui sont comme des découpes au laser, les trompettes notamment. Chaque dosage est juste, chaque attaque impeccable et il semble ne rien pouvoir leur arriver (aucun dérapage). Idem pour les cors et pour les trombones, qui s’intègrent si bien. Et il y a les bois, merveilleux (hautbois, basson). Comme pour montrer que tout reste très humain et que l’art est difficile, la super vedette de l’orchestre, le clarinettiste Ricardo Morales, a craqué une note dans son thème du 3e mouvement de la 2e Symphonie de Rachmaninov.

Mais ce qui frappe aussi, c’est le grain moelleux des cordes et leur puissance (violons I), la densité des altos, aussi, notamment dans le 1er mouvement de Rachmaninov. Les seuls qui étaient « normaux » étaient les contrebasses, mais surtout en raison de l’acoustique de la Maison symphonique ; placé à droite, le pupitre gagne sans doute à être surélevé.

Légitimité

On pourrait faire de longues digressions sur la légitimité d’aller jusqu’à amener une symphonie de Florence Price en tournée, car ce n’est tout de même pas le 1er choix des grands chefs-d’oeuvre de l’Histoire de la musique. Nous sommes d’autant plus à l’aise d’en discuter que lorsque l’enregistrement de la 4e Symphonie par John Jeter était paru en première mondiale chez Naxos nous étions quelques jours après au micro, à la radio pour mettre en parallèle son 2e mouvement avec celui de la Symphonie du Nouveau Monde qui l’a tant inspiré. Mais « intéressant » ne signifie pas « incontournable ».

Les limites des Symphonies de Price sont assez constantes : des 1er mouvements à la construction un peu éparse qui veulent peut être trop en dire. Mais, notamment dans le cas de la Quatrième, le mouvement lent, hommage à la 9e de Dvorak, est un bijou très touchant, le 3e volet est un parfait exemple des danses (Juba dances) mises en oeuvre dans les symphonies de Price et le Finale est une réussite qui fait un bel effet.

Alors on peut adopter une approche muséale et dire que le Rijksmuseum d’Amsterdam, le Metropolitan Museum de New York, le Louvre ou l’Ermitage ne montrant que des chefs-d’oeuvre, les plus grands orchestres sont faits pour jouer la crème du répertoire. Mais sous un autre angle, amener Florence Price en tournée est légitime, car l’orchestre est Américain, et comme l’ont montré des chercheurs et spécialistes, l’Amérique musicale a manqué de reconnaître la branche afro-américaine de son patrimoine pour soigner un héritage plus européen. Alors donner à la musique de Price cet engagement, cette énergie et cette parure sonore est une démarche très honorable et une forme de retour des choses — qui pourrait parfaitement concerner aussi la Negro Folk Symphonie de Dawson, que Yannick Nézet-Séguin a également enregistré.

De la Symphonie n° 2 de Rachmaninov, nous restons avant tout estomaqués par le 2e mouvement, absolument parfait, qui a fait jeu égal avec la grandiose réussite gravée à Philadelphie par Eugene Ormandy en 1951. Il y a même un détail encore plus affûté, une accentuation entre violoncelles, caisse claire et xylophone avant le 2e retour du thème lyrique. Tout le reste était hallucinant de précision, de force et de microdosage. Ce mouvement a véritablement propulsé le reste de la symphonie. Yannick Nézet-Séguin n’alanguit pas le 3e mouvement, contrairement à certaines sections du 1er mouvement. Tout est abordé dans une grande et généreuse coulée. Le Finale préserve la tenue du 2e volet, en une gigantesque fête sonore, d’une opulence somptueuse et exaltante.

Nous avons été un peu moins convaincus par le 1er volet. Sans qu’il n’y ait quoi que ce soit de rédhibitoire, Yannick Nézet-Séguin n’a pas varié ou assoupli sa vision. Il oscille entre des phrasés très cadrés et d’autres justement relâchés sans qu’on sache vraiment pourquoi. La respiration interne était intrinsèquement ressentie avec plus de liberté et de naturel par Ivan Fischer lors de son mémorable concert ici avec l’Orchestre du Festival de Budapest.

Grandiose soirée, évidemment, qui a soulevé le public qui avait rempli la Maison symphonique à ras bord.

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