JAMAIS LU : DES INéDITS DE CAROLANNE FOUCHER, AHMAD HAMDAN ET STEVE GAGNON

Tous les printemps, le Festival du Jamais Lu nous invite à être témoins d'œuvres littéraires et théâtrales en chantier.

Des autrices et des auteurs se prêtent chaque année au jeu en soumettant un texte inédit avec lequel ils testent les eaux dans le cadre d’une mise en lecture du projet. Pas ou peu de mise en scène, aucun par cœur… On nous lit un spectacle qui verra probablement le jour sous une autre forme ultérieurement. Cette année, parmi les braves âmes qui se prêtent à l'exercice, on compte Carolanne Foucher, Ahmad Hamdan et Steve Gagnon.

Carolanne Foucher

Au marqueur permanent

Lundi 6 mai, 20 h

L’histoire de Au marqueur permanent puise son origine d'un fait divers qui a eu lieu dans les années 90, aux États-Unis. Il y a des filles qui se sont mises à écrire le nom de gens qui ont eu des comportements sexuels répréhensibles sur les murs des portes des toilettes des filles de leur université, précise Carolanne Foucher. Ça faisait longtemps que je voulais parler de la vague de dénonciation de 2020. 

En quête du bon angle, l’autrice ne souhaitait pas faire de théâtre documentaire ni raconter une fiction qui se déroule en 2020. Je trouvais qu’écrire sur les murs, dans les années 90, ça résonnait un peu comme écrire sur les réseaux sociaux en 2020, dit-elle. J’ai compris que j'allais pouvoir parler des mêmes choses, de mêmes enjeux, tout en entrant dans une fiction qui nous permet de nous éloigner de notre trauma qui est encore trop proche. 

Parce que parler de 2020, pour elle, c’était encore trop chaud. Je ne me sentais pas du tout équipée pour faire ça et je pense qu'on a la capacité de trouver des réponses et des manières de guérir avec ces événements-là qui sont similaires, mais qui ont eu lieu il y a 30 ans.

Au-delà du nœud des violences sexuelles, Carolanne Foucher s’intéresse à l’épuisement né du militantisme. C’est épuisant d’être vocale par rapport à une situation qui t’affecte, toi aussi, précise-t-elle.

Le texte place, côte à côte, cinq femmes aux opinions distinctes. Les filles sont le mouvement, mais elles ne s'entendent pas sur la manière dont ça va s'inscrire dans les livres, la manière dont le mouvement va survivre ou s'effacer, explique l’autrice.

Le projet arrive au Jamais Lu à quelle étape ?

Quand il n’y a pas de mise en scène, on a toujours un peu l’impression d’être à mi-chemin. Je pense qu’on a envie de demander aux gens, "ça vous intéresse-tu?". Je veux recueillir les commentaires des gens. Ça m'intéresse de savoir ce que les femmes pensent parce que j'ai envie qu'il y ait de l'espoir dans ce texte-là.

Ça change quoi, de vivre l’étape du Jamais Lu avec une œuvre?

J'ai présenté Manipuler avec soin, en 2019, qui a été monté en 2021 puis remonté en 2022 et ça vient d'être rejoué à Gatineau. Ce festival-là, ça a de vraies opportunités de découvrabilité. Aussi, ça te pousse à travailler parce que pour telle date, tu dois présenter un texte. Ça motive à écrire. Je n’avais presque rien d'écrit de Marqueur permanent quand j’ai eu à déposer le texte pour aller à Paris [le Jamais Lu se tient également à Paris, NDLR].

Je suis allée le présenter à Paris, puis là, je suis dans ma deuxième version que je présente à Montréal. Il y a eu une réaction viscérale de beaucoup de femmes dans la salle. Les filles pleuraient. Ça permet de connaître les réactions avant de te lancer complètement. Je suis super contente que les femmes soient touchées par ce texte-là, mais j'aimerais vraiment que les hommes sentent qu'ils font partie de la conversation aussi.

On porte collectivement le trauma de toutes ces femmes-là, mais on n'inclut toujours pas les hommes dans la réflexion. S'ils n'ont même pas accès à ce qui s'est passé, c’est plus difficile de les amener à prendre position.

Ses recommandations :

1. Le condo de mon adelphe, de Lyraël Dauphin

Samedi 4 mai, 16 h

Histoire d’amitié improbable et réparatrice, mise en lecture par Agathe Foucault.

2. Quota ethnique, de Tamara Nguyen

Samedi 4 mai, 20 h

Histoire de lutte et d’identité, mise en lecture par Vincent Kim.

Ahmad Hamdan

Pour Maëlle

Mercredi 8 mai, 20 h

Ahmad Hamdan présente le récit d’une rencontre entre deux classes sociales au cœur de Montréal. Ali vient d'un milieu populaire et il rencontre une fille d’un milieu aisé, puis il apprend à la connaître et il atterrit dans ce milieu-là et le découvre.

Dans Pour Maëlle, il décortique les stigmas de chacune des classes et ce qu’elles provoquent dans la manière de voir le monde. Il y a une grande différence entre les gens quand ton travail c’est de réfléchir et de penser le monde plutôt que de travailler fort de tes mains, explique-t-il.

Dans ce texte, Ahmad Hamdan se plonge dans ses propres questionnements et révèle une partie de son histoire personnelle. Je voulais soulever la question : est-ce que mener une vie artistique, une carrière où les idées sont importantes, ça prend une certaine base, est-ce que ça peut venir de nulle part, est-ce que ça dépend des gens que tu as fréquentés? Plusieurs facteurs peuvent t’amener à quitter ton milieu. Et on découvre le parcours de ce gars-là.

Le projet arrive au Jamais Lu à quelle étape ?

Je dirais qu'on va avoir une bonne première version, mais c'est sûr que c'est un banc d'essai et une vitrine. J’aimerais voir les éléments dans lesquels les gens se reconnaissent et ceux où ils ont besoin de plus d'accompagnement. Au cégep, on m'a dit que le théâtre c'est le reflet de la société et j'essaie de tendre la main à l'autre pour qu'on soit dans un dialogue.

Il n’y a pas beaucoup de personnes de la classe ouvrière qui vont voir du théâtre dans les conditions socio-économiques et culturelles du Québec. Je veux ouvrir une fenêtre à ce public-là et je veux que le public se sente interpellé. Je veux savoir si le dilemme de Ali est universel.

Ça change quoi, de vivre l’étape du Jamais Lu avec une œuvre ?

C’est ma première participation, mais l’an dernier, après une annulation, plusieurs auteurs avec des petits projets en ébullition avaient pu aller lire un extrait d'une première version de Pour Maëlle. J’ai hâte de voir ce que je peux faire ensuite lorsqu’on m’offre une heure complète pour présenter quelque chose de bien cousu.

Ses recommandations :

1. Quota ethnique, de Tamara Nguyen

Samedi 4 mai, 20 h

Histoire de lutte et d’identité, mise en lecture par Vincent Kim.

2. Au marqueur permanent, de Carolanne Foucher

Lundi 6 mai, 20 h

Steve Gagnon

genèse d'une révolution sans mort ni sacrifice dans laquelle je ne fais surtout que plonger ma voix dans tes cheveux broussailleux

Dimanche 5 mai, 20 h

Pour ce nouveau texte, Steve Gagnon explore une avenue qu’il n’avait jamais approchée auparavant. Quand on adapte un roman au théâtre, on a peur de la narration donc on en coupe le plus possible. Là, j’ai fait un peu le contraire. La narration est assumée et prend la plus grande partie du spectacle, raconte-t-il.

Le projet a vu le jour après dix jours passés à Paris avec une actrice française qui souhaitait que Steve Gagnon lui écrive un spectacle à son image. Après quelques jours de discussions, de visites de galeries d’art, de longues marches, les esquisses de genèse ont commencé à apparaître. Le temps passé à imaginer des choses, avec elle, à Paris, c’est vraiment un cadeau que je me suis fait, se souvient l’auteur. Je voulais que ce texte me parle à moi aussi. Il fallait qu'on trouve c'était quoi le terrain sur lequel nous étions tous les deux sollicités.

À travers leurs pérégrinations, ils se sont entre autres intéressés aux tableaux de Miriam Cahn. On s'est mis à parler de révolution, de révolte, de colère. Cahn va dans les pays en guerre civile, elle est allée en Ukraine, et elle peint de façon juste assez réaliste pour que l’on comprenne. S’en est suivi une remise en question, après toute cette violence retransmise par l’art : où est ma joie?. Puis Steve Gagnon a entretenu une correspondance à ce sujet avec l’autrice Anaïs Barbeau-Lavalette.

Le constat, au bout des mille questions sur la révolte et la joie: Je me suis dit que j’avais besoin d’une marche en forêt et genèse, c’est cette balade-là, lance Steve Gagnon.

Le texte commence par une promesse au spectateur : On dit qu'il n’y aura pas de larme, pas de tragédie, rien de rocambolesque. Tout sera doux, rien ne sera brusque, on ne parlera pas fort, vous pouvez fermer vos yeux, insiste l’auteur.

Trois personnes prennent la parole pour raconter l’histoire de cette femme qui a vécu une enfance difficile auprès d’un père violent. Puis, à 35 ans, elle se retrouve à la campagne avec son fils et son conjoint pour trouver une certaine quiétude, loin des bruits de la ville. Elle se demande si le fait de choisir la joie constamment est un geste politique ou un geste de résignation. Est-ce que prendre soin d'une forêt c'est participer à une forme de révolution ou c'est égocentrique? Est-ce que de faire un enfant est un geste de foi ou d'insouciance?

Le projet arrive au Jamais Lu à quelle étape ?

En novembre, il y avait une première version, en France. Je l'ai beaucoup entendue. Le texte a été énormément confronté déjà donc j’arrive au Jamais Lu avec une version qui est assez aboutie.

Ce qui est particulier dans ce contexte-ci, c'est que je ne l’imagine pas être déployé au théâtre. Au théâtre, on met l’accent sur les décors, les costumes, l’habillage scénique, mais parfois, c’est le texte dans sa forme la plus simple qui est le plus fort.

Il peut perdre en puissance s'il est mis en scène et je sais déjà que ça ressemblera davantage à une lecture ou une exposition immersive dans laquelle les gens pourront bouger et trouver l’état et le lieu dans lesquels ils ont besoin d’être pour que le texte leur fasse le plus de bien.

Ça change quoi, de vivre l’étape du Jamais Lu avec une œuvre ?

Je trouve ma satisfaction comme auteur avec un texte complètement abouti où rien n’est laissé au hasard. Je ne veux pas de mots répétés, de maladresses. Avec le Jamais Lu, on a le temps d’entendre un texte, de l’oublier, de le confronter à d’autres sensibilités. Je peux terminer un spectacle et me dire que je sais pourquoi chacune des virgules est là.

Ses recommandations :

Il y a plusieurs auteurs et autrices que je ne connais pas du tout, cette année, dont c'est le premier texte, je trouve ça formidable. C’est la première fois que je mets les pieds dans un Jamais Lu comme auteur et qu’il y a si peu de mes connaissances. J’adore Carolanne Foucher et j’ai lu tout ce qu’elle a écrit, mais sinon, je vais aller voir tous les autres aussi, pour les découvrir. Il n’y a rien qui ne me parle moins.

Le Festival du Jamais Lu bat son plein jusqu’au 11 mai sous la thématique Attiser la lumière. Tous les détails sont disponibles en ligne.

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