ISABELLE PICARD : AFFRONTER L’OMBRE FAMILIALE POUR EXPOSER LA RAFLE DES ANNéES 60

Dans deux livres sortis récemment, l’auteure wendat Isabelle Picard est allée puiser au cœur de son histoire personnelle et familiale, notamment la rafle des années 60, une réalité peu abordée au Québec.

Des milliers d’enfants autochtones ont été arrachés de leur famille pour être placés de force dans des foyers d’accueils ou des institutions. Un grand nombre d'entre eux ont même été élevés au sein de familles blanches. Cette histoire tragique – mieux connue sous le nom de rafle des années 60 –, c’est celle du père, des oncles et des tantes d’Isabelle Picard.

L’auteure, dans la fin quarantaine, affronte ces zones d’ombres de son histoire familiale dans un ouvrage tout en pudeur et au titre évocateur : Des glaçons comme du verre. Ç'a été long avant que l’on comprenne ce qui s’est passé. Encore récemment, mes oncles et tantes se sont questionnés sur ça. Je leur ai dit que c’était un mouvement : "Vous n’êtes pas les seuls!" lance-t-elle en entrevue.

L’écriture douce, pudique, pour ne pas victimiser encore plus les Autochtones, expose néanmoins ces vérités qui dérangent et qui ne sont pas encore assez connues, indique l’ethnologue et écrivaine wendat.

Assurément, dit-elle en souriant, c’est un livre thérapeutique. Elle s’est sentie soulagée après avoir déposé sa plume au bout des près de 300 pages d’écriture, mais elle pense qu’il sera thérapeutique aussi pour ceux qui ont vécu ces drames familiaux.

Il donne des clés de compréhension sur un épisode peu élogieux de l’histoire de notre pays, mais il s’adresse aussi aux lecteurs qui suivent de près les questions autochtones.

Une histoire familiale cachée

Le processus d’écriture s’est avéré un long périple émotionnel pour Isabelle Picard. Six mois d’écriture intense mettant en scène une flopée de personnages bien réels, tous puisés dans son histoire personnelle. À certains moments, elle admet avoir dû prendre des pauses parce qu’elle n’en pouvait plus.

Cette idée de livre, Isabelle Picard la mijote depuis une vingtaine d’années. J’ai toujours voulu en apprendre plus sur l’histoire de ma famille qui était une histoire un petit peu taboue, cachée, mais je n'avais pas la maturité de poser les questions, ni le courage, ni les connaissances qui venaient avec tout ça. Donc, j’ai attendu.

Finalement, lors d’une promenade au cimetière de Wendake, vers 40 ans, elle sent que c’est le moment lorsqu’elle découvre que les pierres tombales de ses grands-parents ont été refaites. Elle y a vu un signe.

Le titre lui est venu sur le territoire où son grand-père a longtemps travaillé, la Seigneurie du Triton. Dans un ancien chalet au printemps, elle regardait par la fenêtre les rayons du soleil qui transpercent des glaçons dans toute leur fragilité et leur beauté. Et là, j’ai senti mon grand-père près de moi, je me suis dit que c’était le temps d’écrire. Le temps aussi de poser des questions aux oncles et tantes vieillissants.

Mais poser de telles questions est vraiment très difficile. Sa tante, celle qui s’appelle Liliane dans le livre, la seule qui a réchappé à la rafle des années 60, a été extrêmement ouverte et généreuse. Isabelle Picard a donc puisé dans ses mémoires d'enfance, dans les discussions avec la famille, son père, dans ses recherches aux archives pour construire son histoire.

L’insidieux

L’histoire est celle d’Henri et Belle, un Wendat et une allochtone qui tombent amoureux. La famille vit dans la simplicité et les enfants grandissent dans l’amour. Mais un jour, Belle tombe malade, et les choses se sont enclenchées tranquillement, souligne Isabelle Picard.

Entre le curé du village, l’agent des Affaires indiennes et la travailleuse sociale, peu à peu, la famille perd ses pouvoirs et les enfants sont enlevés. Le père commence alors à s’enfoncer. Et chaque enfant qui part semble être une bouteille en plus que le père s’envoie pour geler sa souffrance. Difficile de ne pas y faire des rapprochements avec les impacts intergénérationnels. Isabelle Picard prend le lecteur par la main pour le guider sans fermement le diriger.

À l’image de ce qu’il s’est passé à l’époque, l’écriture d’Isabelle Picard nous amène tranquillement vers une fin qui paraît presque inéluctable, tellement on sent la pression s’installer, jour après jour, mot après mot, et que ni le père ni l'aînée Liliane ne pourront faire quelque chose.

À travers l’histoire d’Henri et ses enfants, Isabelle Picard dépeint tout le mécanisme insidieux de la colonisation, la tentative d’assimilation, à coup d’arguments : C’est pour votre bien, le bien des enfants, le choc des cultures, des valeurs, l’impuissance, la résilience, mais jamais la résignation.

Ça s’est vraiment passé comme ça. Ils étaient assez nombreux dans ma famille pour qu’il y en ait qui soient allés dans des écoles de redressement, dans des orphelinats, dans des familles d’accueil à moyen et long terme, puis d’autres qu’on a voulu adopter. C'est tout ça, la fin des années 60 au Québec, précise Isabelle Picard.

L'autrice en est persuadée, si c’était son grand-père wendat qui était décédé et non sa grand-mère, la trajectoire familiale aurait été bien différente.

Un roman en deux parties

Le roman est divisé en deux parties. La première est essentiellement l’histoire de sa famille avec quelques ajouts pour la fluidité, puis la deuxième partie est un ramassis d’autres histoires que lui ont racontées plusieurs personnes autochtones à travers le temps. Cette partie est donc plus romancée, mais inspirée d’histoires vraies, notamment le personnage de Claire, le seul qui regroupe plusieurs histoires.

Isabelle Picard n’a jamais connu son grand-père, mais le personnage d’Henri est basé sur ce qu’on lui a dit de lui. Un homme pas parfait, mais qui a essayé.

On me l’a dépeint comme quelqu’un qui était un peu amer, un peu bourru, qui avait tendance à boire. Et on peut comprendre pourquoi avec l’histoire du livre. Mais j’ai voulu aussi montrer que mon grand-père était autre chose : un cuisinier, un artiste, indique-t-elle.

Un homme qui a vraiment chanté au château Frontenac dans les années 40-50. Chanter, c’est de l’art. Tu ne peux pas être déconnecté de ton cœur si tu es un artiste. Il y a une certaine déchéance, mais à la base, je pense qu’il était assez équilibré, explique-t-elle.

La travailleuse sociale, Blanche, est le fruit du récit de sa tante. Le prénom a été modifié, mais de sa voiture à un épisode dans un escalier, les souvenirs de sa tante sont très précis. L’écrivaine a toutefois pris des libertés, car Blanche est une espèce d’amas de toutes ces travailleuses sociales. Certaines étaient plus dures, d’autres plus douces, explique Isabelle Picard. Je l’ai fait évoluer, se questionner, dans mon roman pour montrer qu’on peut évoluer. Même si ce n’est pas arrivé dans mon histoire familiale.

La suite de l’histoire familiale, elle se fera de manière orale, entre eux, dans les discussions, si certains en ressentent l’envie.

Un court roman qui ressemble à sa vie

Isabelle Picard a écrit une nouvelle plus courte, L’homme aux deux visages, sorti en même temps qu’Un carnet oublié de Virginia Pesemapeo Bordeleau.

L’Homme aux deux visages s’adresse aux Autochtones sursollicités dans tous les domaines, précise Isabelle Picard. Elle y livre, à travers le personnage d’Émile Brascoupé, un auteur en panne d’inspiration après avoir vécu un succès rapide, une réflexion sociétale intéressante sur la place donnée aux Autochtones. Mais aussi une réflexion pour les Autochtones sur ce qu’ils peuvent prendre aussi, précise-t-elle.

Emile, un homme tiraillé, plonge dans son histoire et se rend compte qu’il a besoin de son côté autochtone pour retrouver son inspiration. Il retourne alors dans sa communauté assez éloignée pour retrouver ce qu’il n’arrive pas à avoir à Montréal.

C’est extraordinaire ce qui se passe, on nous ouvre les portes. On demande d’être plus partout, mais parfois ça peut être fatigant. Il faut savoir mettre ses limites [...] prendre du temps pour nous, quitte à ralentir et retourner sur le territoire, poursuit-elle, rendant hommage à l’ancien chef anishinabe Gilbert Whiteduck qui lui avait prodigué ce conseil il y a quelques années : Il faut rester enraciné.

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