«HUMANE»: PETITS MEURTRES EN FAMILLE

Dans un futur qui pourrait se dérouler demain matin, la crise environnementale est si grave qu’à moins d’une réduction importante de la population mondiale, l’humanité est vouée à l’annihilation. D’où l’implantation d’un programme d’euthanasie volontaire. Père de quatre adultes chicaniers, Charles, un riche présentateur de nouvelles retraité, vient d’y souscrire avec sa seconde épouse, Dawn. Cela, à la consternation de sa progéniture, réunie le temps d’un ultime souper. Or, lorsque Dawn se ravise et s’éclipse, le fonctionnaire venu effectuer la procédure réclame un second cadavre… Dans Humane (Humain), frères et soeurs s’aiment à mort, c’est le cas de le dire.

Écrite par Michael Sparaga, cette comédie noire — où rouge carmin, c’est selon — est la première réalisation de Caitlin Cronenberg, soeur de Brandon Cronenberg (Possessor, Infinity Pool) et fille de David Cronenberg (Scanners, Crash), pour demeurer dans le thème de la famille.

« En lisant le scénario de Michael, je pouvais voir chaque scène dans ma tête — je suis très visuelle », confie Caitlin Cronenberg, jointe par visioconférence en prévision de sa venue à Montréal pour l’avant-première de Humane le 25 avril au cinéma du Parc, présentée en collaboration avec Fantasia.

« Et il se trouve que ce que je lisais et voyais me plaisait beaucoup. Ces frères et soeurs confinés dans le manoir familial, avec la tension qui monte : c’était un univers dans lequel je voulais plonger. Je précise que Michael et moi nous connaissons depuis des années, et que nous partageons le même type d’humour macabre. »

Le concept inusité, à savoir ce programme de suicide assisté précoce, piqua d’emblée la curiosité de la réalisatrice à cause de sa portée tant éthique que morale. « C’est une variation du vieux dilemme du tramway : tuer une personne pour en sauver plusieurs. Évidemment, il est à souhaiter qu’on n’en vienne jamais à ça, mais le contexte d’effondrement environnemental total du film rend ce dilemme pressant, immédiat. En même temps, on vient de vivre la pandémie de COVID, et je suis pas mal certaine que la plupart d’entre nous ne pensaient jamais vivre une chose pareille de leur vivant… »

Tel qu’il nous est présenté au commencement du film, ledit programme, établi depuis un moment déjà, se veut sur base volontaire : chaque participant est payé, l’argent allant aux héritiers après le décès.

Sauf que la prétention des autorités selon laquelle ce système basé sur le volontariat est équitable est fausse. De fait, les gens qui acceptent d’en finir sont motivés par le dédommagement que recevra leur famille. Dès lors, ce sont majoritairement les moins nantis qui font ce choix déchirant. « Les personnes qui s’engagent dans la procédure ont-elles réellement le choix ? La question se pose », indique Caitlin Cronenberg.

Retomber en enfance

Hélas, de la même manière qu’ils n’arrivaient pas à respecter leurs cibles en matière de pollution, les gouvernements n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs côté trépas précipités. D’où l’annonce d’une nouvelle approche qui prendra la forme d’un tirage au sort.

Évidemment, les dés sont pipés en faveur des puissants et des riches, comme le révèle Jared, l’aîné du clan, qui est porte-parole pour le gouvernement — ou l’« administration », comme on désigne cette instance suprême dans le film, en un indice d’une américanisation mondiale. « Le personnage de Jared est la figure type du gars qui prétend agir pour le bien de tous, mais qui est en réalité un trou de cul opportuniste », résume Caitlin Cronenberg, sourire en coin.

Jared est en l’occurrence en bonne compagnie, son frère, Noah, et leurs deux soeurs, Rachel et Ashley, se révélant capables du pire lorsque poussés dans leurs derniers retranchements. Le spectateur passe d’ailleurs la majeure partie du film à les observer se cacher les uns des autres, se pourchasser avec des armes de fortune et s’infliger toutes sortes de sévices tandis qu’au-dehors, l’« euthanasiste » attend le second cadavre nécessaire à l’obtention de sa prime.

Sur le fond, Humane s’inscrit donc dans une longue tradition de récits conjuguant rivalité filiale et humour noir. Lorsqu’on demande à Caitlin Cronenberg pourquoi, selon elle, les deux s’accordent paradoxalement si bien, la réalisatrice prend le temps de la réflexion. « Je pense que ça a quelque chose à voir avec le fait que, lors de réunions familiales, lorsqu’on retrouve nos parents, et nos frères et soeurs, le cas échéant, on retombe presque aussitôt en enfance. Littéralement. »

« Je veux dire par là qu’on se met instantanément à agir avec immaturité, à mesure que les vieilles jalousies et les vieilles rancoeurs refont surface. Je crois que le film montre bien ce phénomène. Quant à la raison pour laquelle ça se prête si bien à l’humour noir… C’est peut-être parce que le spectacle de frères et de soeurs adultes qui essaient maladroitement de s’entretuer dans la maison de leur enfance, c’est intrinsèquement drôle. »

En effet, ce l’est.

Le film Humane prend l’affiche le 26 avril

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