HEUREUSEMENT, MARC-ÉTIENNE MONGRAIN Y éTAIT

Tous ceux qui fréquentent la scène musicale locale le connaissent même sans le connaître. Le visage familier près de la scène ou de l’entrée des coulisses, à l’Esco, au Club Soda, au Festif !, à Baie-Saint-Paul, au FME de Rouyn-Noranda ou aux Francos, appareil photo au cou. Le photographe Marc-Étienne Mongrain lance aujourd’hui Fallait être là. Regard(s) sur la scène musicale québécoise (2013-2023), collection de moments croqués devant et derrière la scène, préfacé par Louis-Jean Cormier et commenté par certains de ses sujets préférés, Hubert Lenoir, Safia Nolin, Philippe Brach et Klô Pelgag.

Couverture cartonnée, pages glacées, de la couleur, même si Mongrain préfère la photo en noir et blanc : Fallait être là est d’abord un superbe objet, farci d’images vivantes. Plusieurs portraits, comme celui de Lucien Francoeur qui fait toute la page 30. Ce regard ! Et celui de Fanny Bloom, deux pages plus loin, serrant son amoureux dans ses bras, à l’arrière d’une scène extérieure (aux Francos ?). Page 43, la gueule que fait Jérôme Dupras des Cowboys Fringants, qui s’est retourné vers le photographe, avec derrière lui, le public, briquets allumés au poing.

Une autre, émouvante celle-là, page 207 : Sarahmée serrant en coulisses l’ex-directeur de la programmation des Francos, Laurent Saulnier, juste après le concert hommage à son frère, Karim Ouellet, présenté sur la grande scène extérieure, à l’été 2022. « Ce qui m’a fait plaisir, confie le photographe, c’est lorsque j’appelais les artistes pour leur demander si c’était correct que telle photo d’eux soit dans le livre et qu’ils me répondaient : “Mais c’est ma préférée !” Eux aussi doivent revivre ce voyage en voyant ces photos, puisqu’il y en a qui ont l’air jeunes dans ce livre ! »

Lui-même musicien, Marc-Étienne Mongrain est arrivé à la photographie un peu par hasard, au retour d’un week-end passé à New York avec l’appareil photo de sa soeur. « En les regardant, trois ou quatre dans le lot avaient l’air de photos de magazine. Je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose là. »

Ainsi, de contrat de portraits promotionnels en mandats de garder en mémoire les images fortes de différents festivals de musique, Mongrain s’est incrusté dans la scène locale, gagnant la confiance des artistes, surtout, comme l’écrit Cormier dans sa préface, « savoir disparaître, s’effacer, se retirer du champ de vision pour que l’on oublie qu’il y a un “kodak” dans la place. Pour ça, Marc-Étienne Mongrain est un véritable magicien », qui avoue toutefois ne pas être vraiment passionné par la photographie : « Honnêtement, la photo ne m’intéresse pas tant que ça — je n’ai jamais “shooté” avec de la pellicule parce que justement, le processus ne m’intéresse pas. Je n’ai pas non plus de qualification pour être directeur photo sur des tournages. »

« Je ne suis pas un journaliste non plus, parce que je n’ai aucune objectivité. » Marc-Étienne est un fan de musique et de ceux qui la font. Son appareil photo, c’est son sésame, ce par quoi il s’approche des artistes et de leur environnement. Ce grâce auquel il a tissé de véritables amitiés avec certains d’entre eux, comme Philippe Brach et Klô Pelgag, à qui des sections entières du livre sont consacrées.

« Franchement, je ne sais pas ce que ce livre montre de notre scène musicale, mais je sais que ça n’a jamais été montré, et je ne comprends pas pourquoi », constaté, étonné, le photographe. « On vient d’apprendre le décès de Ferland : pourquoi voit-on toujours les mêmes photos de lui ? Où sont-elles, les photos backstage du concert 1 fois 5 ? », le célèbre concert de la Saint-Jean-Baptiste de 1976 réunissant Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Yvon Deschamps, Claude Léveillée et notre regretté petit roi.

Mongrain a interrogé des gens du milieu et des archivistes de la culture musicale populaire québécoise : Fallait être là pourrait bien être le premier ouvrage du genre de celui qui a fait le nom d’illustres photographes ayant documenté l’histoire du rock, comme Anton Corbijn, Mick Rock ou encore la Britannique Pennie Smith, dont la mythique photo de Paul Simonon fracassant sa basse a servi pour la pochette du non moins mythique London Calling (1979) du groupe The Clash.

Page 50 : sur un fond noir, Klô Pelgag nous fixe d’un air sérieux, cheveux teints en jaune serin, avec son capuchon rouge et sa collerette plissée. Cette photo servit de modèle à la peintre Florence Obrecht, qui réalisa la pochette de l’album Notre-Dame-des-Sept-Douleurs (2020).

« J’étais un ado des années 1990 ; Daniel Bélanger et Jean Leloup devaient se battre pour capter mon attention. Je les ai un peu écoutés, mais c’est Kurt Cobain qui l’a gagnée, non pas parce qu’il me parlait davantage qu’eux, mais parce que Kurt avait une aura. On voyait plus [de photos] de lui que [celle sur] sur la pochette de son album ou son vidéoclip : la photographie permet de construire cette aura », d’alimenter la légende, la magie, autour de l’image des musiciens. C’est pour ça, aussi, qu’il sort son « kodak » : « Certaines photos que je prends, elles me font un effet et je sais qu’elles m’en feront encore dans dix ans lorsque je les regarderai de nouveau. Beaucoup des musiciens sont aussi attachés à leurs photos — la plupart en ont un exemplaire chez eux. »

Les photos de coulisses sont particulièrement précieuses. Page 183, Luc Plamondon posant une main sur l’épaule de Klô, l’autre au cou de Safia Nolin. Page 141, Philippe Brach et Clémence DesRochers échangeant un regard complice. Pages 166 et 167, dans les loges de Belle et Bum en 2017, Vivianne Roy (Les Hay Babies) montre ses fesses alors qu’éclatent de rire Safia, François Lafontaine (Karkwa), Dany Placard, Fred Fortin et Olivier Langevin.

Pages 88 et 89, une pause pendant une répétition, on voit Klô, Laurence-Anne, Brach, N Nao et Lysandre (entre autres), souffler assis sur l’asphalte, le dos au mur bétonné. « On avait tellement l’air d’une gang de jeunes du secondaire cachés dans les escaliers pour ne pas se faire voir, raconte Mongrain. C’était une des premières fois qu’on pouvait se retrouver ensemble, après la pandémie. La sécurité venait nous achaler pour nous dire qu’on ne pouvait pas rester là, mais on est restés. À la fin de la journée, personne ne voulait rentrer chez soi. C’est un des beaux souvenirs que je garde de cette pandémie. »

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