GUY BERTRAND, L’AYATOLLAH (MODéRé) DE LA LANGUE

Vendredi était la dernière journée à Radio-Canada de Guy Bertrand, qui prend sa retraite après plus 33 ans de service. Les auditeurs le connaissent pour ses chroniques sur les subtilités de la langue française. Son rôle de premier conseiller linguistique l’a également amené à établir les normes quant à la manière de s’exprimer sur les ondes. Durant sa carrière, le niveau de langue au sein du diffuseur public aura considérablement évolué pour se rapprocher de celui que l’on parle au quotidien. D’aucuns diront qu’il s’est dégradé, mais certainement pas Guy Bertrand, prenant bien soin d’éviter de sombrer dans le catastrophisme et la nostalgie.

« Une langue qui n’évolue pas, c’est une langue qui se sclérose et qui meurt. Les évolutions du français, qu’on les aime ou qu’on ne les aime pas, ça permet à la langue de rester vivante », soutient celui qui croit qu’il est normal que Radio-Canada s’adapte à ces changements pour ne pas paraître déconnecté, ou pire : élitiste.

Lorsque Guy Bertrand y a été embauché au début des années 1990, le français qu’on y parlait en ondes était moins pointu que le « perler » radio-canadien des Judith Jasmin et Michelle Tisseyre de l’époque du noir et blanc. Mais plusieurs têtes d’affiche continuaient de s’exprimer dans un français plus formel, plus international. Ce fossé entre le niveau de la langue à Radio-Canada et celui de l’auditeur moyen s’est amoindri dans les dernières années.

Pour Guy Bertrand, il s’agit du cours normal des choses. Mais gare à verser dans un registre familier, voire vulgaire. « Radio-Canada doit être le reflet de la population, mais en même temps, il se doit d’être un modèle », prévient-il. « C’est normal qu’on ne parle pas tout à fait le même français en ondes que celui que l’on parle lorsqu’on est avec des amis. C’est normal, dans la vie, de faire des erreurs. Moi-même, j’en fais. Mais en ondes, on doit tenter le plus possible de ne pas en faire. Il faut viser un haut niveau, sans être élitiste. Il faut être convivial, sans être familier. Et parfois, la ligne entre les deux est ténue. »

L’anglais, quelle menace ?

Au sein de Radio-Canada, Guy Bertrand faisait justement figure d’autorité morale pour délimiter ce qui était acceptable de dire ou non en ondes. René Homier-Roy l’avait surnommé amicalement « l’ayatollah de la langue ». Pourtant, il n’a jamais été du genre à lancer des fatwas. Les jugements de valeur : très peu lui.

Certes, Guy Bertrand déconseille l’usage en ondes de calques provenant de l’anglais, de type « sauver de l’argent », au lieu des termes « économiser » ou « épargner ». Mais il n’est pas de ceux non plus qui désapprouvent systématiquement les emprunts à l’anglais dans le langage courant.

« Si on parlait à un centenaire en 1900, il nous aurait dit que la langue a très peu évolué depuis sa naissance. Mais depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la langue parlée a beaucoup changé avec la mondialisation. Et ça s’est accéléré avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux, qui ont introduit plusieurs nouveaux mots, souvent en anglais. Ça, c’est un phénomène nouveau. C’est ce qui préoccupe plusieurs personnes actuellement. Mais d’un point de vue linguistique, il n’y a rien d’inquiétant là-dedans », précise-t-il.

Nuances de rectitudes

Ce qui l’inquiète davantage, c’est cette tendance à la rectitude politique. Et par là, il ne fait pas référence au remplacement de certains termes par d’autres. Que l’on dise aujourd’hui « personne de petite taille » au lieu de « nain », ou « personne handicapée » au lieu de « handicapé », ne l’offusque pas. Au contraire, c’est un peu dans l’ordre des choses, selon lui. « Le plus important, c’est le respect. Et quand les membres d’un groupe donné disent qu’ils souhaitent être qualifiés d’une certaine manière plutôt que d’une autre, c’est la moindre des choses d’utiliser le terme souhaité en leur présence », de raisonner le chroniqueur.

Par « rectitude politique », Guy Bertand fait plutôt référence au bannissement de certains mots. Une tendance qu’il observe dans la foulée de l’épineux débat autour de l’utilisation du mot en n. « C’est tout à fait normal qu’on ne dise plus “Indiens” pour parler des Autochtones. C’était factuellement incorrect. Mais si on parle de la discrimination qu’ont vécu les Autochtones, c’est normal que l’on raconte qu’ils se faisaient traiter d’Indiens. C’est important que l’on aille accès à ces mots-là. Pas pouvoir les réutiliser dans le langage courant, mais pour prendre la mesure de la discrimination qu’ils ont vécu dans l’histoire », illustre le traducteur de formation.

Autre sujet sensible : le pronom non-genré « iel », qui a récemment fait son entrée dans Le Robert. Des personnes trans et non binaires s’en réclament. Mais Guy Bertrand doute que son usage se répande. « On crée tous les jours de nouveaux noms, de nouveaux adjectifs, de nouveaux verbes en français. Mais vous remarquerez qu’il n’y a jamais de nouvelles prépositions ou de nouvelles conjonctions. Pour les pronoms, c’est la même chose. Ça fait partie de la base de la langue. Je n’ai rien contre le fait qu’on crée un pronom pour tenir compte d’une nouvelle réalité. Mais introduire un nouveau pronom, quand plusieurs confondent le masculin et le féminin, c’est très compliqué », estime celui qui vient de fêter ses 70 ans.

Sa voix manquera à nombre d’auditeurs. Radio-Canada a indiqué qu’il sera remplacé dans ses fonctions de conseiller linguistique pour les journalistes et les animateurs. Par contre, personne ne prendra la relève de sa chronique sur les ondes d’ICI Première.

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