FALLAIT êTRE Là : L’ALBUM SOUVENIR DE LA SCèNE MUSICALE QUéBéCOISE

Fallait être là. Y étiez-vous? Étiez-vous là, dans les festivals de musique, au-devant de la scène pour voir les talents d’ici émerger, fleurir et finalement remplir le parterre de la Place des Festivals? Si vous y étiez parfois, un peu ou tout le temps, le livre de Marc-Étienne Mongrain vous fera l’effet d’un album souvenir.

Si la scène musicale actuelle vous intéresse et que les chansons qui ont vu le jour dans les dix dernières années ont marqué un pan de votre propre vie, il y aura pour vous, dans Fallait être là, matière à sentir l’émotion monter.

Le photographe Marc-Étienne Mongrain se promène depuis plus de dix ans, d’un festival à l’autre, d’une salle minuscule et obscure au Centre Bell et il capture des images uniques des artistes parmi les plus importants de l’histoire récente de la musique québécoise.

Mon premier FME [Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue], je l’ai fait sans avoir le droit de le faire, se souvient Marc-Étienne Mongrain, en riant. Je suis revenu de Rouyn, je n’ai pas dormi de la nuit et le lundi, j’ai écrit à Sandy Boutin, le directeur du festival, et je lui ai dit : "tiens, il a l’air de ça ton festival".

Ce qu’il voulait dire par il a l’air de ça , c’est que, contrairement aux images qu’on pouvait voir dans les publicités et les médias traditionnels, il y avait au FME beaucoup plus de mosh pits qui dégénèrent à deux heures du matin que d’enfants qui soufflent sur des vire-vent.

Une passion était née : montrer ce qu’on ne peut voir que si on est tout près du band, que si on se couche tard, que si on a accès aux coulisses. Ma première chance, c’est Lou Doillon qui me l’a donnée, se rappelle le photographe. Je jouais de la guitare pour Grenadine et on faisait sa première partie à Québec. Elle jouait le lendemain à Montréal et je lui ai demandé si je pouvais essayer de prendre des photos.

L’importance du moment

L'image qui capture le mieux l’essence du projet de Marc-Étienne Mongrain depuis le début des années 2010 est probablement l’image de Klô Pelgag (en couverture du livre), pensive, rentrant à la maison en métro après avoir offert son concert le plus ambitieux en carrière, avec un orchestre de 30 musiciens devant une Place des Festivals pleine à craquer. Ça dit tellement de choses sur l’industrie de la musique, cette photo-là. Une artiste qui rassemble des milliers de personnes aux Francos, mais qui rentre chez elle en prenant le métro.

Incapable de se prononcer sur ses propres images pour déterminer ce qui est bon ou ce qu’il l’est moins, Marc-Étienne Mongrain compte 200 000 photos dans ses archives. J’ai épuré et j’en ai donné 500 à Pier-Philippe Rioux, explique-t-il. Je lui ai dit de faire un livre avec ça et que j’allais ajuster au besoin.

Faire figer la musique

Le projet de Marc-Étienne Mongrain est tout de même ambitieux, car au-delà des images figées d’un spectacle, il tente de rendre compte d’un moment, expliquer en ne disant rien. Et ce qu’il tente d’expliquer en une image, c’est un moment qui, au départ, existe pour être entendu. Il doit donc capter l’essence de la musique pour qu’on puisse tout saisir sans entendre une seule note.

Avec le temps, certaines photos prennent de l’importance, et ce, pour plusieurs raisons. Les photos de Karim Ouellet ou de Karl Tremblay qui se trouvent dans le livre de Marc-Étienne Mongrain portent en elles beaucoup plus que les instants qu’elles rappellent.

Les photos d’eux qui étaient correctes, sans plus, ont tout à coup une charge émotive vraiment plus grande, mais le temps change notre rapport à la photo à d’autres niveaux, explique le photographe. Philippe Brach, quand tu regardes l’évolution des photos de lui à travers les années, tu réalises à quel point il avait l’air d’un enfant au début. Ça aussi, c’est intéressant.

En feuilletant son cahier de visages, il affirme qu’il n’en manque qu’un. Je ne fonctionne pas avec une liste, mais si j’en avais une, celui qu’il me manque, c’est Jean Leloup , dit-il.

La fin des histoires

Outre sa propre histoire, Marc-Étienne Mongrain raconte celle de la scène musicale de 2013 à 2023 et il laisse un espace précieux à ceux et celles qui ont si souvent été devant son objectif. Philippe Brach, Hubert Lenoir, Safia Nolin et Klô Pelgag signent chacun un texte dans le livre et Louis-Jean Cormier s’est chargé de la préface.

Beaucoup de vérités se déploient du début à la fin du livre de photos, sans pour autant pencher du côté du potin. La raison pour laquelle j’ai eu autant accès aux artistes à travers les années, c’est que je n’ai jamais mis de l’avant des photos compromettantes et je ne raconte pas tout ce dont je suis témoin dans les loges.

Et les histoires qu’il pourrait raconter, elles sont nombreuses. Il se contente des siennes. Sa passion pour la photo de spectacle l’a amené à conduire de Moncton à Sudbury en une journée pour couvrir un festival. Il a suivi les groupes de musique dans leur van de tournée et s'est retrouvé au plus près de l'histoire de la musique qui se dessinait.

Les dix dernières années ont été riches en naissances de nouveaux talents. La scène musicale a grandi à vitesse grand V, donnant un bassin fertile à la photographie pour Marc-Étienne Mongrain, mais s’il se retrouve dans le véhicule de tournée du prochain Hubert Lenoir dans dix ans, il croit qu’il aura l’air d’un creep. C’est tout à fait normal que les plus jeunes aient leur Marc-Étienne à eux et je n’irai pas m’imposer, avoue-t-il.

Il faut aussi comprendre que le photographe de tournée n’est pas souvent calculé dans le budget d’un artiste. Il faut que tu veuilles que je sois là, ajoute-t-il. Avec les sommes disponibles en ce moment, est-ce qu’il reste de la place pour ça? Et si tu le fais pour pas cher, vas-tu gagner ta vie avec ça et le faire pendant dix ans?

Le terrain de jeux de Marc-Étienne Mongrain en a été un de grande qualité avec une scène musicale de quelques centaines de groupes et d’artistes, ce qui n’était pas le cas au début des années 2000. Klô Pelgag, Safia Nolin, Hubert Lenoir et Philippe Brach, selon moi, ils ont pu profiter des dernières possibilités de faire de la télévision et d'être vus, alors que la scène musicale était quand même en train de prendre de l'expansion.

Pour lui, le plafond est vraiment plus bas qu’il était et les moyens de découvrir la prochaine génération de la musique sont de moins en moins présents. Il faut se demander comment on élèvera ces gens de talent pour qu’ils soient reconnaissables dans le salon des gens aujourd’hui et demain, conclut-il.

Fallait être là. Regard(s) sur la scène musicale québécoise (2013-2023) est disponible en librairie.

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