AMBIANCE R&B AUX FRANCOS: LA RECONNAISSANCE, ENFIN

Ce grand événement des Francos aura une valeur pédagogique : Ambiance R&B, un concert entièrement consacré à un genre musical historiquement négligé au Québec, tellement que l’ADISQ attendra la 46e édition de son gala, l’automne prochain, pour enfin lui consacrer une catégorie, Album de l’année – R&B/soul. Ce Félix et ce concert sont deux importantes victoires pour les artisans, de plus en plus nombreux, à embrasser ce genre que l’auteur-compositeur-interprète Corneille défend depuis son premier album, Parce qu’on vient de loin, paru en 2002.

À eux d’être applaudis, reconnus, enfin, à la place des Festivals. Naomi, les soeurs Naïma et Shah Frank, jeunes étoiles de la nouvelle scène R&B montréalaise. Le Français Vacra, le duo néosoul belge YellowStraps, acclamé chez lui depuis quelques années. L’ex-gagnant des Francouvertes Rau_Ze, qui lançait récemment son premier album, Les Louanges, qui s’est inspiré de ce genre dans lequel évolue Zaho, laquelle a commencé sa carrière à Montréal avant d’aller trouver son public, et le succès, en France, où le R&B fut traditionnellement mieux apprécié qu’ici.

« Le Québec est pourtant l’un des endroits au monde où la création musicale est des plus foisonnantes, mais le R&B n’y est pas reconnu. C’est étrange, non ? » se demande encore Corneille, qui a milité en coulisses pour que cette reconnaissance se fasse enfin. « Je pense qu’il y a peut-être eu un manque d’éducation à propos de ces musiques [soul et R&B]. Alors il faut passer par des voies institutionnelles pour leur donner de la légitimité. L’ADISQ l’a reconnu, et ça, cette nouvelle catégorie, c’est une forme d’éducation auprès du grand public. »

Dans la dernière année, en compagnie de représentants de ADVANCE, organisation pancanadienne se décrivant comme un « collectif de professionnels noirs de l’industrie musicale », il s’est adressé à la direction de l’ADISQ et de son gala annuel pour les sensibiliser à la cause soul/R&B. « Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il a fallu peu de temps pour créer la catégorie, assure Corneille. J’insiste : le processus, ça a été extraordinairement rapide. »

La nouvelle direction générale de l’ADISQ s’est vite montrée intéressée, explique-t-il : « On n’a pas eu à les convaincre longtemps, comme si la direction était déjà prête à ça. Elle avait simplement besoin d’un peu plus d’information pour mieux pouvoir expliquer ensuite à ses membres » que le gala devait faire une place à cette communauté de créateurs. Sera considéré pour le Félix Album de l’année – R&B/soul tout projet « de plus de six chansons ou d’une durée totale de plus de vingt minutes, chanté en français », résume Corneille.

Un jury spécialisé devrait être constitué pour évaluer les oeuvres soumises : « Cette préoccupation fut la première à être soulevée, de notre part comme de celle de l’ADISQ : les musiciens qui mettent un peu de R&B dans leurs chansons ne seront pas admissibles. Cette catégorie, on l’a créée pour les artistes qui s’identifient au genre », né rhythm’n’blues dans les années 1940 américaines, réinventé par Motown et Stax dans les années 1960, mais apparu dans sa forme moderne (les Américains parlent de contemporary R&B et de néosoul) à la fin des années 1970 pour être ensuite a été sculpté par le funk, le rap et les musiques électroniques.

« Le héros de la musique pop »

Or, assure Corneille, « beaucoup d’artistes de la relève s’identifient aujourd’hui au R&B » qui, dans les années 1990, a accompagné l’âge d’or du rap américain en mettant au monde des stars de la trempe de Mary J. Blige, la regrettée Aaliyah, Brandy ou encore les trios TLC et Destiny’s Child, dont faisait partie une certaine Beyoncé. Ainsi, l’un des défis durant ses audiences auprès de l’ADISQ était de pouvoir démontrer que le Québec compte un bassin d’artistes R&B assez important pour justifier la création d’une nouvelle catégorie et que celle-ci soit suffisamment compétitive.

« On espérait que l’annonce de la création de cette catégorie envoie le message à tous ces artistes R&B dont on connaît l’existence pour qu’ils se manifestent, explique Corneille. Le problème n’est pas l’offre, car elle existe — et d’ailleurs, l’annonce n’a pas manqué son coup : depuis mars dernier, énormément d’artistes nous ont contactés pour avoir des informations à propos de la catégorie. Je soupçonne qu’on aura encore plus de candidatures l’an prochain pour cette catégorie. »

Un des artistes à l’affiche d’Ambiance R&B devrait être en lice pour le prix : Barnev Valsaint, pionner du R&B contemporain au Québec, a lancé en mars dernier son premier album solo, Qui je suis. C’est lui, la voix de Soul pleureur, succès de Dubmatique, paru en 1997. Deux ans plus tard, NoDéjà, le trio qu’il formait avec Mike Coriolan et Patrick Chevalier, lançait son seul album, « le premier album de R&B québécois — c’est en tout cas ainsi que je le vois », estime Corneille, évidemment réjoui de l’intérêt, inédit, que le milieu porte enfin au R&B et au soul.

« Le R&B, c’est le héros de la musique pop, ça l’a toujours été, affirme Corneille. Et quand on parle de musique populaire, on parle de la musique écoutée par une majorité — le rap, aujourd’hui. Or, le R&B est venu se greffer au rap pour rappeler aux gens qu’il est bon d’accompagner ces formes d’activisme [souvent portés par le rap] par une forme de douceur. Le R&B a toujours été l’élément romantique de toutes les collectivités culturelles musicales aux États-Unis. Un Al Green était toujours là pour nous rappeler l’importance de la douceur. »

« Et dans l’évolution de tout ça, on a eu une Mary J. Blige chantant le refrain d’une chanson de Jay-Z [Can’t Knock the Hustle, 1996], une Faith Evans chantant avec Biggie [One More Chance, 1995], c’étaient souvent des femmes, mais pas que, pensons à Boyz II Men chantant avec LL Cool J [Hey Lover, 1995]. » Le R&B serait-il le lubrifiant dont s’est enduit le hip-hop pour se glisser dans la culture populaire ? « Tout à fait — c’est l’agent fédérateur de la pop ! » dit Corneille.

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