7E ART ET 4E POUVOIR - DU CINéMA POUR LES OREILLES

Défenseurs de la démocratie ou enquêteurs opiniâtres, les journalistes sont aussi des personnages de fiction. Leurs multiples incarnations ont souvent modifié le regard du public, mais qu’en est-il de celui des principaux intéressés ? Dans la série 7e art et 4e pouvoir, Le Devoir donne la parole à des journalistes de tous les horizons pour connaître leur perception du métier à travers le cinéma.

Il rêvait de journalisme dès son jeune âge, et même lorsqu’il est devenu avocat. De retour dans son coin de pays, à Alma, après son baccalauréat à l’Université de Sherbrooke, Janic Tremblay a remis sur les rails le ciné-club qui lui avait fait découvrir le cinéma du monde lors de ses études collégiales. Avec l’aide de quelques complices, il concoctait non seulement la programmation, mais la présentait aussi aux spectateurs avant la projection, ainsi qu’à la radio. Certains ont vu en lui non pas un futur cinéaste, mais un communicateur doué qui ne demandait qu’à se révéler à lui-même.

C’est ainsi que Janic Tremblay a délaissé la toge de l’avocat pour le micro du journaliste, un revirement professionnel dicté par le coeur, une flamme toujours vive après plus de 20 ans à travailler pour Radio-Canada. Alors qu’il a occupé pendant quelques années le fauteuil d’autres animateurs de différentes émissions d’affaires publiques, il est maintenant à la barre de Tout terrain, le grand rendez-vous d’information et de reportages d’ICI Première, tous les dimanches matin. D’abord un homme de radio, Janic Tremblay n’est par contre jamais avare d’images pour parler de cinéma, toujours avide d’expliquer en profondeur ce qui guide ses goûts, et ses choix.

La cinéphilie et la gestion d’un ciné-club vous ont vraiment détourné de votre métier d’avocat. Pourquoi ne pas avoir fait plus tôt le saut vers le journalisme si c’était votre rêve d’enfant ?

Pendant longtemps, ce fut un bruit d’arrière-plan, et je me disais que je pourrais y revenir un jour. Lorsque mes études de droit ont débuté, je me suis retrouvé pris dans un engrenage, tout est allé très vite. Mais peu importe les films que j’ai pu voir à cette époque, et ceux que j’ai présentés par la suite au public, comme L’odeur de la papaye verte [de Trần Anh Hùng, 1993], Michael Collins [de Neil Jordan, 1996] ou Ridicule [de Patrice Leconte, 1996], je me suis demandé si j’aurais dû étudier en cinéma, mais il y a quelque chose en moi de rationnel. Je voulais raconter des histoires, mais au moment de mes présentations, j’aimais communiquer. Les cinéastes ont leur manière de le faire, les journalistes aussi, basée sur les faits. Quand Jean Hébert, alors directeur de la station régionale de Radio-Canada, m’a offert un poste de chroniqueur-intervieweur pour l’été, j’ai franchi le Rubicon, et je n’ai jamais regardé derrière.

Est-ce que le cinéma ou la télévision a pu parfois vous faire rêver de pratiquer ce métier ?

Les personnages de journalistes à l’écran m’inspirent rarement. Je vais être un peu brutal : ils ne sont pas si intéressants que ça. Dans la vraie vie, ce sont de super personnalités, mais au quotidien, la plupart d’entre nous passe son temps à lire, à faire des recherches, etc. Quand je regarde une série comme The Morning Show (2019-), je ne vois que la « glamourisation » de notre profession, et ça ne m’interpelle pas du tout. À l’opposé, qu’est-ce qui fait la force d’un film comme Spotlight [de Tom McCarthy, 2015] ? Les journalistes sont au coeur de cette histoire, ils ressemblent à tous ceux qui travaillent autour de moi, et ont autre chose à faire que d’être à la mode.

Êtes-vous plus sensible aux films qui se déroulent dans le milieu de la radio ?

J’en ai revu quelques-uns en prévision de notre entretien. Talk Radio (1988), d’Oliver Stone, ce n’est pas du tout mon registre : devant cela, j’ai l’impression de vivre sur une autre planète ! Par contre, Eric Bogosian, l’auteur de la pièce dont le film s’inspire et qui interprète l’animateur, est absolument magnifique dans ce rôle. Mais nous sommes loin du service public ! Dans son cas, il n’hésite pas à insulter les auditeurs et à faire en sorte que ses pires pulsions prennent le dessus lorsqu’il est devant un micro. Cela dit, il est vrai que la radio est un média chaleureux, et il faut que l’animateur ou le journaliste soit incarné. C’est un don de soi, on se révèle un peu, tout en étant prudent. Mais dans nos questions, nos rires, et même nos silences, les auditeurs peuvent apprendre à nous connaître.

Vous avez une grande admiration pour le génie comique du regretté Robin Williams. Le voir se transformer en animateur de radio dans Good Morning, Vietnam (1987), de Barry Levinson, n’a pas dû vous déplaire.

Ses talents d’improvisateur sont remarquables. Je vous donne un exemple. Lors du casting de la sitcom Mork & Mindy (1978-1982), on lui a demandé de s’asseoir comme un extraterrestre : il s’est immédiatement placé la tête en bas… et fut engagé sur-le-champ ! Pour moi, ça en dit long sur Robin Williams. Dans Good Morning, Vietnam, on compte plusieurs scènes marquantes, comme lorsqu’il est pris sur la route au milieu de camions transportant des soldats. Quand [le personnage de Forest Whitaker] leur dit qu’ils sont devant le célèbre animateur de radio Adrian Cronauer, personne ne le croit. C’est lorsqu’il se met à parler que tout le monde s’illumine. On sent sa sensibilité, sa bienveillance à l’égard d’hommes qui vont sans doute aller se faire tuer… Et que dire de la trame musicale qui se mélange à merveille avec les propos de l’animateur ?

Même si vous n’avez pas une affection particulière pour les « films de journalistes », croyez-vous que Good Night and Good Luck (2005), de George Clooney, mérite le détour ?

Disons-le franchement : nous rêvons tous d’être un journaliste de la trempe d’Edward R. Morrow. Cet homme-là marche au centre, ni à gauche ni à droite. Mais en plein maccarthysme, il considère que c’est une grave injustice de condamner des gens sans aucune forme de procès, sinon par des « On a entendu dire que… ». Dans ce film, on exprime des choses fondamentales, comme « Il ne faut pas confondre dissidence et déloyauté » ou « Une accusation n’est pas une preuve ». Et ce n’est pas parce que je suis un ancien avocat que je suis d’accord avec ça ! Morrow pratique un journalisme responsable, combatif, courageux, prêt au dialogue avec quiconque est prêt à parler. Et le noir et blanc ajoute une touche à la fois sublime et dépouillée au film.

Du côté des séries télévisées, est-ce que certaines ont piqué votre curiosité journalistique ?

J’adore Jeff Daniels, non seulement un grand acteur, mais aussi un musicien. Il est la vedette de la série The Newsroom (2012-2014), conçue par Aaron Solkin, le créateur de The West Wing (1999-2006), rien de moins. Voilà un autre bel exemple de journalisme courageux avec Daniels qui incarne le personnage de Will McAvoy. C’est un présentateur de nouvelles capable d’une grande neutralité tout en étant un républicain fiscal, et non social, de même qu’un ancien avocat ! [rires] Dans une scène extraordinaire évoquant la fusillade à Tucson, en Arizona, en janvier 2011, qui a failli coûter la vie à la représentante au congrès Gabrielle Giffords, plusieurs chaînes d’information avaient annoncé sa mort. Contre l’avis de ses patrons, et par manque de faits vérifiés, McAvoy refuse de suivre la concurrence. On entend cette réplique puissante : « Ce sont les médecins qui déterminent si quelqu’un est mort, pas les médias. » Tout ça avec la chanson Fix You du groupe Coldplay en trame sonore, ce qui rehausse la grande émotion de la scène.

La radio vous permet-elle de satisfaire pleinement votre besoin de raconter des histoires ?

Je crois que la radio constitue un formidable moyen de voyager. Avec l’équipe de Tout terrain, que nous soyons en Cisjordanie, au Mexique ou à la base militaire de Valcartier, le son radiophonique réussit à nous amener ailleurs, à nous extirper du quotidien. C’est d’ailleurs ce qu’a brillamment prouvé Orson Welles avec son adaptation radiophonique de La guerre des mondes (1938), évoquée par Woody Allen dans Radio Days (1987). Ce que mes collègues font avec les sons — propos, musiques, bruits d’ambiance — représente un véritable travail d’orfèvrerie. La radio devient alors un formidable outil de création. Avec eux, j’ai l’impression de faire du cinéma… pour les oreilles !

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