J'AI HONTE DU CENTRE-VILLE DE MONTRéAL

Cet article d’opinion fait partie d'une série de Narcity. Les opinions exprimées sont celles de l'auteur ou l'autrice et ne reflètent pas nécessairement la position de Narcity Media sur le sujet.

Miami et la Collins Avenue, New York et la Fifth Avenue, Paris et les Champs-Élysées, Los Angeles et le boulevard Hollywood, Londres et la Oxford Street. Ce sont tous des endroits branchés où l'on veut aller, autant les touristes que les locaux. Ce sont des artères qui font rêver et pour lesquelles on peut se vanter de les avoir visitées au moins une fois dans notre vie. Et nous, au centre-ville de Montréal, qu'est-ce qu'on a? La rue Sainte-Catherine, devenue un chantier interminable où je ne veux pas mettre les pieds.

Dans mes souvenirs de la rue Sainte-Catherine, downtown Montreal avait une âme, une fébrilité, une essence, une électricité, une énergie…bref, cette artère - et surtout sa portion Ouest - était le courant d’une ville allumée.

Aujourd’hui, entre les multiples cônes orange, les pancartes des rues et des trottoirs barrés ainsi que les commerces vides et placardés, j’ai l’impression de marcher dans l’ombre de ce qu’elle a déjà été : éclectique et vibrante.

Pour cette chronique, on fait comme l’histoire de M. Scrooge, de l'écrivain Charles Dickens, et on visite trois fantômes : le passé, le présent et un peu de l’avenir de ma bien-aimée/malmenée rue Sainte-Cath.

Le passé : Back in the days, quand elle était vivante

L’adolescente que j’étais empruntait l’autobus 191 jusqu’à la station de métro Lionel-Groulx. Puis, je me dirigeais jusqu’à la station McGill. Et là, mes rêves d’ado et de jeune adulte prenaient vie, live sur la rue Sainte-Catherine.

D’abord, j’ai probablement dépensé tous mes chèques de paye de mon premier boulot - chez McDonald's - sur la Sainte-Catherine et les rues adjacentes.

Mes séances de shopping pouvaient durer de longues heures, commençant par le magasin Vibes (coin Sainte-Cath et Peel), au BCBG, puis au Jacob, passant par le Buffalo Jeans, ou encore à l’emblématique boutique Parasuco (coin Sainte-Cath et Crescent).

Parlons de Parasuco : qui ne s’est pas gelé les fesses en période des soldes du boxing day pour mettre la main sur une paire de jeans taille basse tendance en spécial à 50 $ au lieu de 150 $? Si tu n’étais pas encore né.e, dans les années 2000, tu as manqué ça.

Oh, tu as manqué aussi la tradition du midi, des notes de cornemuse écossaise qui arrachaient un sourire aux passant.e.s du magasin Ogilvy. Le cornemuseur s’installait au coin de la rue de La Montagne et Sainte-Cath et c’était toujours impressionnant de l’observer jouer à bout de souffle cet instrument, vêtu de son kilt vert et marin.

Tu as manqué le restaurant Planète Hollywood (beaucoup trop cher pour de simples burgers aux boulettes congelées), mais bon, l’endroit attirait les vedettes internationales lors de leur passage à Montréal.

Et tu as manqué de te planter dans une foule devant les vitres du studio de Musique Plus, en attente des plus grandes stars de la musique. Check un vibe!

Le présent : phase sous respiration artificielle

Justement, la semaine dernière, j'avais un rendez-vous à un commerce situé sur la rue Saint-Cath et j'ai pris le temps d'observer cette scène apocalyptique de piéton.ne.s pressé.e.s qui contournaient les travaux, qui essayaient d'esquiver les trous sur les trottoirs ou qui cherchaient en vain de se créer un passage pour se rendre de l'autre côté de la rue. Face à ce labyrinthe coloré d'orange et de gris, des sentiments de nostalgie et de tristesse ont habité mon cœur et là, maintenant, je vais devoir m'habituer.

En effet, la rue Sainte-Catherine (entre les rues Peel et Mansfield) subit des travaux majeurs d’infrastructures dont les changements urgents des égouts et des aqueducs - d'où les immenses tas de roches et les clôtures qui bloquent toute circulation sur une grande distance.

  • L’élargissement des trottoirs et l’ajout du mobilier urbain sur cette artère seront effectués au cours des étés 2024 et 2025 (ce qui nuira à la population piétonnière pendant les beaux jours ) ;
  • La rue Metcalfe (entre les rues Square Dorchester et place Mount-Royal), qui croise Saint-Cath dans un secteur névralgique du centre-ville, a des travaux similaires ainsi que des fouilles archéologiques.

En attendant, les restaurants et commerces en souffrent.

Le joaillier et homme d’affaires Philippe Langlois, propriétaire de la bijouterie Philippe & Co, située sur la Sainte-Catherine Ouest, près de Stanley, lève le drapeau rouge sur les impacts des travaux qui selon lui, prennent trop de temps.

« Je reviens de Barcelone et je voyais des travailleurs qui étaient présents sept jours sur sept pour terminer des travaux le plus rapidement possible. Ici, de ma fenêtre, j’observe les travailleurs qui terminent vers 14 h 30 - 15 h. Franchement, pensez-y : cela va prendre deux ans pour faire trois coins de rue. Et parfois, on barre les rues, il n’y a rien qui se passe. Si tu bloques la rue, faites quelque chose au moins », s’exaspère-t-il.

« Cela diminue le foot traffic. C’est clair, je le vois. Et plusieurs commerçants comptent sur ce trafic piétonnier pour arriver à leur fin de mois. Déjà, ce n’est pas rare de payer des loyers entre 20 000 $ et 30 000 $ par mois, lorsqu’on est propriétaire d’une boutique qui a pignon sur rue », ajoute-t-il.

«Je sais que [ces travaux] doivent être faits, reconnait Sandra Ferreira, directrice générale du restaurant Ferreira situé entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard Maisonneuve. Il y a une partie qui est comprenable, mais dans le contexte que l'on sort de la pandémie, je ne peux pas croire que la Ville a manqué de vision, sachant que le centre-ville a été plus durement touché ».

D'autant plus que ce chantier est loin d'être terminé et que d'autres travaux d'envergure sont prévus dans le centre-ville, se désole cette dernière. « Je suis en mode protection de ma santé mentale, parce que je sais que la durée des travaux va nous affecter durant cinq ans: deux ans sur Sainte-Catherine et trois ans sur Peel (entre René-Lévesque et Sherbrooke, de 2026 à 2029). La Ville a beau vouloir collaborer, mais le mal est fait », fait remarquer Mme Ferreira.

D’un autre côté, des boutiques de grandes marques (comme Sephora, Aritzia, Apple, COS, Uniqlo) s’installent quand même en ville, tenant la rue Sainte-Catherine Ouest sur une fine ligne entre la vie et la mort.

En outre, vive le Centre Eaton et le Time Out Market! L’endroit est une bonbonne à oxygène qui maintient sous respiration artificielle la vitalité de notre downtown. Le Time Out Market rend justice à l'offre gastronomique éclectique de Montréal en réunissant les meilleures tables en version cantine. C'est l'unique consolation à laquelle je m'accroche.

Sur ce, l’administration Plante a beau nous répéter que le centre-ville se porte bien, mais ce n’est pas normal que l’image emblématique de notre métropole soit encore représentée par des cônes orange.

Et avec ces grues plantées qui enlaidissent le paysage, les bruits de machinerie lourde comme si nous étions en guerre et ces clôtures qui empêchent toute circulation, j’ai un sentiment de honte qui accapare mon identité montréalaise.

Le futur : phase d’une résurrection?

Je n’ai pas de boule de cristal. Une chose est certaine : les festivités du Grand Prix approchent à grands pas.

Je ne crois pas qu’il faille être un.e médium pour deviner que la circulation (en voiture, à bicyclette et à pied) sera très difficile sur l’artère de la Sainte-Catherine Ouest, où se déroule d’ailleurs plusieurs des festivités de la Formule 1. On aura donc un autre été à suer, non pas à cause de la chaleur, mais à tester notre patience au nombre de détours et de rues barrées sous le regard découragé des touristes.

Le même manège se répétera l’été prochain et le suivant et encore le suivant...

Enfin, je m’accroche à la candeur des Montréalais.e.s qui sont résilient.e.s, patient.e.s et fier.ère.s tout de même de leur ville. On aspire et espère collectivement que tous ces travaux auront servi au plein potentiel du centre-ville.

À la fin des travaux, est-ce que Sainte-Catherine deviendra aussi « cool » que la Plaza Saint-Hubert pour se hisser dans un autre palmarès du magazine Time Out? Seul l'avenir nous le dira et encore là, ça dépend si on est d'accord avec ce choix - ce qui ne fut par le cas pour tous et toutes.

Enfin, comme le réalise M. Langlois de Philippe & Co : « Il va falloir retrouver la valeur ajoutée à la rue Sainte-Catherine et au centre-ville parce qu’il n’y a aucun incitatif pour attirer des gens, surtout pas les banlieusards, ni un touriste, qui face à ces travaux, n’a pas le goût de dépenser. La complexité de se déplacer downtown est devenue un enjeu réel. »

Et il a raison. Selon l’arrondissement Ville-Marie, les travaux vont continuer jusqu’en 2026. Plus le temps passera, plus il y aura de travaux, plus de gens éviteront le secteur de l’artère Sainte-Catherine Ouest. Puis, soudainement, un sentiment de peur que ma rue préférée devienne une rue fantôme m'envahit : c'est désormais une réelle possibilité.

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