DANS LE CHAOS DE L’ALIéNATION PARENTALE : CHèRE MADELEINE

« Je ne la reverrai plus jamais ».

Le jour où j’ai rencontré Simone* pour la première fois, début février, le ciel était d’un gris dramatique comme son histoire.

Vous vous souvenez de Simone? Cette mère dont je vous parlais dans le premier texte de cette série? Au moment d'en entamer la conclusion, le ciel est toujours gris et triste, comme l’est, ces jours-ci, l’humeur de Simone.

En gros, ça ne va pas du tout.

Sa fille, après avoir entendu son père pendant des années lui dire que sa mère était une crisse de folle a fini par couper les liens avec elle il y a quelques années. Je comprends que ma fille souffrait tellement qu’elle a fini par donner raison à son père pour avoir la paix, en conclut-elle.

Or, tout récemment, par la bande, Simone a eu des nouvelles. Sa fille ne va pas bien. Et cela torture d’inquiétude la mère aliénée. Parfois, je me dis que je ne la reverrai jamais. Qu’il n’y aura jamais de lumière au bout de ce tunnel-là, me murmure-t-elle au bout du fil.

Selon le dictionnaire Larousse, le mot aliénation désigne une situation dans laquelle quelqu'un est dépossédé de ce qui constitue son être essentiel, sa raison d'être, de vivre. Une définition qui donne la mesure du cauchemar de Simone. Depuis une vingtaine d’années, ce qu’elle vit est d’ailleurs désigné par les chercheurs et les cliniciens sous le vocable aliénation parentale, c’est-à-dire un parent qui dépossède l’autre de son lien avec son enfant sans autre motif que de lui faire mal.

Je suis épuisée. Je suis anxieuse, me dit Hélène*, à qui je n’ai pas parlé depuis plusieurs semaines. Mais tous les matins, je me fouette, je dis qu’il faut que je continue si je veux revoir mes enfants.

Le concept d’aliénation parentale joue aussi un rôle dans le calvaire d’Hélène. Je vous racontais son histoire dans le texte 2 de cette série, mais pour mémoire, il y a quelques années, son plus vieux lui a dit avoir été frappé par son père. Elle s’est confiée à l'intervenante de la DPJ qui suivait déjà la famille. Le scénario se répète à quelques reprises. L’intervenante en arrive à la conclusion qu’Hélène, anxieuse, imagine des choses, qu’elle fait de l’aliénation parentale. Il faut dire que son plus vieux, interrogé, dit à l’intervenante que son papa ne l’a pas frappé.

La garde des enfants est accordée au père par un juge de la Chambre de la jeunesse et, depuis, elle ne peut les voir que sous supervision de la DPJ, à raison de quelques heures par semaine.

Hélène a une meilleure voix que la dernière fois que je l'ai vue, en mars. Elle a bon espoir qu’une éclaircie balayera les années sombres qu’elle vient de traverser et qu’elle retrouvera bientôt ses deux amours.

À sa dernière audience devant le tribunal, le père des enfants lui-même a plaidé pour qu’Hélène puisse les retrouver et qu’ils puissent exercer une garde partagée. La jeune femme attend la décision, imminente, du juge, comme le saint Graal. Elle a enfin l’impression que ça va se régler.

Enfin, elle pourra mettre derrière elle ce long conflit de séparation qu’elle traîne, de procédure en procédure, depuis sept ans, dans les corridors du système de justice. Vous avez bien lu. Sept longues années.

Un système qui craque

J’ai salué Hélène et je lui ai demandé de me tenir au courant de la suite. J’ai besoin de bonnes nouvelles. Au moment de clore ce dossier sur l’aliénation parentale, j'ai l’impression de m’exfiltrer d’une zone de guerre où les traités de paix sont rares et où les belligérants se renouvellent sans cesse.

Car la multiplication des champs de bataille de l’intime dans nos cours de justice fait ployer les branches du système comme de la neige lourde accumulée sur des arbres fatigués.

C'est épouvantable! m’avait justement confié maître Leduc*, avocat à la DPJ depuis des années, il y a quelques semaines. Terrible, oui, à quel point les familles parfois se déchirent et engorgent de leurs problèmes les tribunaux.

Les dossiers qui nous demandent 6, 7, 8 jours de procès, c’est les conflits sévères de séparation, et il y en a de plus en plus, soutient l’avocat. C’est beaucoup ça qui entraîne des délais judiciaires dans notre réseau. Il n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement, mais, sous le couvert de l'anonymat, il partage volontiers son découragement : Depuis dix ans, l'augmentation des conflits sévères de séparation est exponentielle. C’est hyper énergivore.

Selon l’enquête longitudinale menée par l'Université Laval auprès de parents séparés et de familles recomposées du Québec, publiée en 2023, une très large majorité des familles vivent bien la séparation, mais une minorité qui la vit mal, soit 26 %, accapare les ressources.

Les juges sont épuisés à force de voir aboutir sur leurs bureaux des dossiers qui mesurent deux pieds de haut, explique Francine Cyr, professeure émérite de l’Université de Montréal. La spécialiste a consacré des années de recherches aux ruptures difficiles et a constaté que les difficultés sévères qui surviennent lors de la séparation sont souvent le fait d’adultes qui se désorganisent après l’éclatement de la famille.

Ils souffrent de vulnérabilités émotives au préalable et la séparation catalyse leurs problèmes.

C’est infernal. C’est un déni de justice

Les délais judiciaires dans le domaine de la famille rendent les choses invivables, déclare d’un trait maître Valérie Assouline avec qui j’ai parlé quelques fois depuis notre entrevue initiale à propos de ses clientes accusées de faire de l’aliénation parentale par la DPJ.

J’ai des dossiers qui peuvent prendre trois ou quatre ans à se régler, me dit l’avocate énergique dans son bureau où des centaines de peluches joyeuses côtoient des classeurs pleins de récits d’enfances brisées.

À vue de nez, maître Assouline estime que cela fait au moins cinq ans que les délais judiciaires ont explosé dans les tribunaux qui traitent de dossiers jeunesse.

Québec a fait un effort et nommé des juges en Chambre de la jeunesse, mais à la Cour supérieure, il manque des juges. Donc, c’est difficile d’aller en appel d’une décision du tribunal de la jeunesse, car il faut aller en Cour supérieure. Vous me suivez? Or, je vous rappelle que l’appel est un droit!, me dit maître Assouline, qui voit dans tout cela un déni de justice.

À la Cour supérieure, c’est le gouvernement fédéral qui nomme les juges. Mais, depuis plusieurs années, la machine semble enrayée à Ottawa. Il manque donc 10 juges ou, si vous voulez, 10 % des effectifs, et certains postes sont vacants depuis 2016!

Les longs délais sont notamment dus au manque de juges, confirme Caroline St-Pierre, porte-parole des Tribunaux judiciaires du Québec. Au cours des dernières années, des juges ont pris leur retraite, mais les nominations pour les remplacer se font attendre.

Nous avons interpellé Ottawa sur cette question. Voici la réponse de l’attaché de presse du ministre fédéral de la Justice : Le ministre Virani continuera d'encourager les juristes qualifiés à postuler pour devenir juges, et il continuera de faire des nominations de haute qualité à un rythme rapide.

Québec bien conscient du problème

Plus de la moitié des dossiers ouverts à la Cour supérieure du Québec sont des dossiers qui concernent la famille. On parle ici de divorces, de gardes d’enfants, de pensions alimentaires, etc.

Et en attendant que le rythme des nominations s’accélère au fédéral et porte ses fruits, les délais font la loi.

Pour ce qui est des procès nécessitant deux jours d’audience en matière familiale, les délais avant d’être entendus sont actuellement d’un an et huit mois. Pour les procès de cinq jours d’audience, les délais sont de près de deux ans, nous explique Caroline St-Pierre, porte-parole des Tribunaux judiciaires du Québec.

La situation des délais en matière de protection de la jeunesse s’est dégradée au cours des dernières années, reconnaît sans détour le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette. C’est pour cette raison que son ministère, conjointement avec le ministère des Services sociaux, vient de lancer, début mars, la Table nationale visant à réduire les délais en matière de protection de la jeunesse, nous écrit-il.

Lorsque ça concerne nos enfants, c’est prioritaire. Nous devons tout mettre en œuvre pour assurer leur sécurité, poursuit dans son courrier électronique le ministre Jolin-Barrette.

Portes tournantes ou ping-pong?

Cynthia Girard, une médiatrice familiale qui a une longue expérience auprès des couples qui se déchirent, constate que ces derniers tournent en rond dans le système judiciaire.

Dans les cas de familles à haut conflit de séparation, ce qu'on constate, c’est que les parents se ramassent dans des portes tournantes. Ils peuvent être autant en Cour criminelle, en Cour de la jeunesse, en Cour supérieure et avoir trois conclusions différentes et chacun des tribunaux se lance la balle. Résultat : les parents et les intervenants sont dans la confusion. Que se passe-t-il avec les enfants pendant ce temps-là?

Maître Valérie Assouline non seulement parle de portes tournantes, mais ajoute l’image d’une table de ping-pong au tableau.

Dans un de mes dossiers, cela a pris un an avant d’avoir accès au dossier sténographié du premier procès! Donc, quand nous avons eu le document, le jugement du juge du tribunal de la jeunesse, d’une durée d’un an, était expiré et donc il a fallu qu'on retourne devant le même juge en Chambre de la jeunesse, celui-là même qui a prononcé le jugement que nous voulions contester. On tourne en rond. C’est comme une table de ping-pong.

Pénurie de personnel à l’aide juridique : le cercle vicieux

Selon les chiffres colligés par le Groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’aide juridique, en mai 2022, à peine 6,68 % des avocats inscrits au tableau de l’ordre du Barreau du Québec acceptent des mandats de l’aide juridique en droit de la famille et des personnes, soit environ 1900 avocats.

Il en manque, donc. Pourquoi? Ce n’est pas payant. C’est long. C’est compliqué.

Patrice Gravel est directeur de l’association des avocats en droit familial. Il pratique dans le domaine depuis 37 ans et agit souvent comme procureur des enfants. Il prend des mandats de l’aide juridique.

Les mandats hautement conflictuels à l’aide juridique, ce n’est vraiment pas rentable. Les jeunes avocats, on ne peut pas les blâmer, ça ne les intéresse pas! C’est simple à comprendre : dans ces cas-là, la question, ce n’est pas combien d’argent tu vas faire, mais combien tu vas en perdre, dit maître Gravel.

Il y a aussi le cas de ces gens qui, pour des raisons financières, se représentent seuls devant les tribunaux, ce qui ne fait rien pour accélérer le traitement des dossiers.

Il évoque un dossier qui traîne depuis 2020. Là, les enfants ont maintenant 14 et 16 ans. Ils ne veulent plus voir leur père parce qu’ils ont été témoins de la violence conjugale. Dans ce cas-là, le monsieur se représente seul. Le principe, c’est que les deux parties ne peuvent pas avoir l’aide juridique, parce que l’aide juridique serait en conflit d’intérêts. Donc, si l’une des parties n’est pas en mesure de payer un avocat, elle se représente seule et il y a beaucoup de monde qui n’a pas les moyens de se payer un avocat, résume Maître Gravel.

Les gens qui se représentent seuls sont souvent démunis devant les tribunaux, poursuit-il. Quand ils n’ont pas le bon document, le juge va remettre d’un mois. Il y en a même qui comprennent ça et s'arrangent pour faire traîner les procédures, et quand il n’y a pas d’avocats pour les encourager à être raisonnables, ils consultent des chums ou vont sur Internet, comme les gens qui vont voir des médecins avec des diagnostics qu’ils y ont trouvés, vous voyez ce que j’veux dire?

Entre le noir et le blanc, une palette de gris

Et puis les enfants, c’est pas vraiment méchant, ça peut mal faire ou faire mal de temps en temps, ça peut cracher, ça peut mentir, ça peut voler, au fond ça peut faire tout ce qu’on leur apprend, chantait Paul Piché dans L’Escalier.

Je repense à cette chanson en descendant l’escalier devant chez Catherine, cette camarade de classe dont je vous parlais au premier chapitre, une des quatre enfants du divorce de mon école quand j’étais au primaire et qui, un jour, m'a annoncé qu’elle avait froidement dit à sa mère qu'elle ne voulait plus la voir.

Je l’ai contactée pour lui expliquer que je faisais un dossier sur l’aliénation parentale et que je soupçonnais qu’elle en avait été victime. Elle m’a dit spontanément : Ben oui! Viens donc prendre un café à la maison. J’vais te raconter ça.

Dans l’escalier qui menait à son appartement, j’ai reconnu tout de suite l’enfant dans la femme. Nous nous sommes assises dans sa salle à manger en fin d’après-midi cet hiver. J’étais la seule membre d’une secte dont mon père était le gourou. C’était un homme bourgeois, bien comme il faut, narcissique, m’a-t-elle raconté. Ma mère, elle, était artiste, bohème, fantasque. Mais aimante, stimulante. Une bonne mère. Ils se sont séparés quand j’avais six ans. Chaque fois que je rentrais d’un séjour chez elle, mon père me suggérait que j’avais été exposée au danger. Il me demandait des trucs comme : "Tu as survécu? Ton irresponsable de mère ne t’a pas oubliée dehors?" Il disait qu’elle était conne, qu’elle n’avait aucun talent.

Catherine se souvient que, pendant des années, ses parents se sont livré bataille pour sa garde devant les tribunaux. Mon père a épuisé ma mère autant financièrement que psychologiquement. Symboliquement, je crois qu’il voulait la tuer, l’éliminer du portrait. Il a réussi.

Catherine n’a pas vu sa mère pendant des années. Puis elle a repris contact avec elle, une fois adulte. Quand mon père l’a su, il est entré dans une colère noire et, à ce moment-là, j’ai eu une épiphanie et j’ai compris qu’il m’avait utilisée comme une arme pour la punir. Et même si je vois ma mère de plus en plus depuis que j’ai des enfants, je n’ai jamais réussi à recréer vraiment un lien viscéral avec elle. Mon père m’a volé ça. Il m’a cassée en deux. On n’a pas le droit de priver un enfant d’un de ses parents, a conclu Catherine avec fermeté, son regard noisette embué de larmes.

Elle m’a demandé de lui donner un pseudonyme. Elle m’a expliqué que son père était toujours une furie et qu’il lui faisait peur. Aujourd’hui grand-père, il essaie de monter ses petits-enfants contre sa propre fille.

Les cas d’aliénation parentale sévère, aussi limpides que le cas de Catherine, ne sont pas si fréquents. J’ai vu deux dossiers jugés comme tels sur les quelque 3000 que j’ai faits dans ma vie, et les juges n’ont pas changé la garde, m’a raconté Patrice Gravel, le directeur de l’association des avocats en droit familial. C’est très compliqué de déconstruire l’aliénation parentale. Dans un des cas, le juge a ordonné que la mère aliénante soit suivie par une travailleuse sociale et qu’on réintroduise graduellement le père dans la vie de l’enfant. Dans le deuxième cas, même si l’aliénation a été reconnue, l’enfant était tellement aliéné qu’il n’y avait malheureusement pas d’autre solution que de le laisser avec son parent aliénant, a continué le juriste, convaincu que l’aliénation peut détruire la vie d’un enfant.

La nuance, insiste l’avocat des enfants, c’est que quand il y a de la violence ou que les enfants ont été témoins de violence, ils ne veulent plus voir leur père. Or, on a malheureusement encore de la difficulté à évaluer les cas de violence parce que, de plus en plus, on fait face à de la violence psychologique plutôt que physique, ce qui est plus difficile à évaluer.

La nuance, le mot qui fuit les débats. La question de l’aliénation parentale se peint avec autant de nuances que les teintes de gris dans le ciel de cet hiver 2024, gris funeste, gris clair, gris déprimant.

Cela nous ramène à la conférence de presse du 7 février dernier, un matin humide et pluvieux. Gris. Bien sûr.

Ce jour-là, l’Association nationale Femmes et Droit, appuyée par Juripop et le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, dépose dans la sphère publique son point de vue sur le concept de l’aliénation parentale : un système de croyances, qui n’a aucun fondement scientifique, affirme-t-elle aux médias présents. Un concept qui serait de plus en plus utilisé pour punir les mères considérées comme hostiles ou rancunières, ou qui s’opposent aux contacts entre l’enfant et le père.

Elles demandaient donc carrément aux gouvernements d’interdire tout simplement le recours à ce type d’accusation pour protéger les femmes victimes de violence.

Depuis, Suzanne Zaccour, la directrice des affaires juridiques de l’Association nationale Femmes et Droit, m’a appris que son organisme a rencontré du personnel du ministère de la Justice au fédéral, mais qu’il n'y avait pas encore eu de rencontre avec le bureau de Carmant ou de Jolin-Barrette.

Mais qu’en est-il des femmes qui se disent, elles, victimes d’aliénation parentale, comme Simone, qui interpellait ainsi Mme Zaccour ce même 7 février?

Et moi, je ne suis pas une bonne victime? demandait alors la mère, qui a perdu son enfant aux mains de l’aliénation parentale. Comment vous allez me protéger? Protéger des parents comme moi qui sont victimes, si on n’a plus de recours devant les tribunaux?

Au cours des semaines qui ont suivi la conférence de presse, ces femmes se sont activées en coulisse. Plus d’une centaine d’entre elles ont répliqué par une lettre envoyée à tous les chefs de parti, à Québec comme à Ottawa, s’opposant à l’idée d’interdire l’invocation de l’aliénation parentale devant les tribunaux de la famille.

Réalisez-vous la gravité de cette demande? Avez-vous bien saisi ce à quoi vous souscrivez en appuyant cette demande?Comprenez-vous tous les enjeux entourant l’aliénation parentale? écrivent-elles.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux Lionel Carmant s’est empressé de clarifier sa déclaration du 29 janvier où il mettait en doute le concept, choquant alors les victimes d’aliénation parentale. Si mes propos ont pu choquer certaines personnes, je m'excuse, m’a-t-il écrit le 29 février. Il était important pour moi de mettre les choses au clair. Je pense que des situations d’aliénation parentale existent.

Faut se parler

L’enfer est pavé de bonnes intentions et le diable est dans les détails.Ce sont ces deux dictons que Paul Saint-Pierre Plamondon a évoqués pour résumer la complexité du débat sur l’aliénation parentale. Nous lui avions demandé une rencontre pour discuter de sa déclaration à QUB radio où le chef du PQ racontait avoir reçu de nombreux témoignages de femmes se disant victimes de violence et alléguant être faussement accusées d’être aliénantes par des intervenantes de la DPJ.

Faut que quelqu’un prenne ça au sérieux, avait-il dit, tout en soulignant que le concept était loin de faire l'unanimité parmi les chercheurs. Car ce que préconise le chef péquiste, rencontré dans un café de sa circonscription montréalaise, c’est, plus que tout, la discussion. Le sujet doit être sur la place publique. On parle de déterminer les contours et les dérives d’un concept et trouver un équilibre entre deux injustices potentielles, fait-il valoir.

En fait, il ne faut pas se laisser intimider par les concepts, en retient le chef péquiste. Ne pas lâcher la proie pour l’ombre par crainte de froisser.

Souvent, dans la société d’aujourd’hui, on est devant des groupes qui adhèrent à une vue du monde à travers des concepts. La présomption d'innocence, c’est un concept, le racisme systémique, c’est un concept, l’aliénation parentale est un concept. Il faut pouvoir discuter.

L’escalier

Discuter.

À la fin de la conférence de presse au centre Saint-Pierre, Simone s’est avancée près de la table où s’étaient installées les porte-parole des organismes souhaitant l'abolition des accusations d’aliénation parentale, dont Juripop. Elle leur a demandé si c’était possible de parler encore, de prendre rendez-vous.

Tout le monde a pleuré, m’a dit Simone, il y a quelques semaines, après sa rencontre avec l’organisme. Elle n’a pas voulu entrer dans les détails de ce qui s’est dit pour respecter l'intimité de la démarche. Mais nous en avons une petite idée, car quelques jours après la conférence de presse du 7 février, j’ai reçu un coup de fil de la directrice générale de Juripop qui voulait clarifier leur position.

Je suis allée la rencontrer dans le Centre-Sud. Au bout de l’escalier de l’immeuble décati où loge l’organisme m'attendait Sophie Gagnon, la directrice générale, un peu nerveuse. Dans son bureau, elle m'a avoué tout de go : Avec le recul, je crois que ce n’était pas la bonne stratégie de sortir en conférence de presse, vu la complexité du sujet. Ça m’a brisé le cœur quand j’ai compris qu’il y avait des personnes victimes qui ne se reconnaissent pas dans le message, qui ont eu le sentiment que leur vécu est invisibilisé. Créer un schisme entre les personnes victimes, ce n'est pas notre façon de travailler.

Cette prise de position, ce n’était pas notre initiative. Mais quand on a été approchés pour cautionner la campagne de l’Association nationale Femmes et Droit, on l’a appuyée parce qu’on a fait confiance à cette organisation, mais aussi parce que cela faisait écho à ce que nous constations souvent sur le terrain, soit que des femmes sont parfois accusées d’avoir des comportements aliénants quand elles osent dénoncer la violence.

Juripop ne prétend pas du tout que l’aliénation parentale n’existe pas, a précisé Sophie Gagnon à plusieurs reprises.

Dans une longue conversation que j’ai eue avec Suzanne Zaccour cette semaine, la jeune femme qui se dit chercheure engagée m’a dit qu’elle avait accepté de rencontrer Simone. Jusqu’à maintenant, les deux femmes n’ont pas encore eu l’occasion de se voir. Mais la directrice juridique de l’Association nationale Femmes et Droit m’assure qu’elle ne nie pas la souffrance des parents comme Simone, mais qu’elle maintient que l’abolition des accusations d’aliénation parentale est la meilleure solution pour protéger les femmes victimes de violence. Elle maintient que de nombreux chercheurs à travers le monde, comme ceux qui travaillent sur le terrain avec ces femmes, partagent son avis.

Simone a d’ailleurs rencontré aussi des dirigeantes du regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, un des organismes qui demandait et demande toujours l’interdiction des accusations d’aliénation parentale.

Quelques jours après, elle m’a envoyé une photo prise dans l’escalier qui mène aux locaux de l’organisme. On y voit une affiche d’une pionnière du féminisme au Québec, Madeleine Parent (1918-2012), tisserande de solidarités, qui se préoccupait du sort des femmes ouvrières, des femmes autochtones, des femmes venues de l’étranger à une époque où il était rare de s’en préoccuper.

Sur l’affiche, Madeleine Parent est photographiée derrière un micro. Elle prononce un discours. Sous la photo, on peut lire une citation de la grande dame : Le processus de discuter avec les gens, de convaincre, de débattre des idées, de se concerter pour revendiquer, je trouve ça merveilleux.

Simone m’a écrit ce dernier texto, cette semaine. En montant cet escalier, j’étais dans un état d’anxiété totale. J’étais en sueur. Je me demandais pourquoi je prenais le temps de faire ça? Pourquoi aller raconter mon trauma, encore? Pis là, j’ai vu la photo de Madeleine Parent, sa citation et j’ai éclaté de rire. Je me suis dit qu’au pire, ça allait servir à ça : le dialogue. Chère Madeleine…

*Nous avons accordé l'anonymat aux parents à qui nous avons parlé afin de protéger les enfants dont il est question dans ce reportage.

Avec la collaboration de Bernard Leduc.

À la recherche, Aude Garachon.

2024-04-20T08:14:07Z dg43tfdfdgfd