LE RETOUR ORCHESTRé D’ANTHONY BURNHAM

D’un réalisme redoutable, la peinture d’Anthony Burnham avait fait de lui un incontournable. Depuis la première Triennale québécoise (2008), éphémère manifestation du Musée d’art contemporain de Montréal, le diplômé de l’Université Concordia, en 1997, apparaissait et réapparaissait ici et là, défendu notamment pendant dix ans par une des galeries les plus courues. Et puis, plus rien ou presque. Exposition pour marionnette en 3 actes, à la nouvelle galerie Eli Kerr, marque le grand retour de celui qui vient de franchir le cap de la cinquantaine.

« Ah oui, j’étais absent ? Je ne le savais même pas, dit avec une douce ironie le principal intéressé. Mais c’est vrai, ça fait sept ans qu’il n’y avait pas eu de nouvelle proposition. »

Il faut dire que, depuis son dernier solo en 2017, il y a eu une pandémie. Déjà, dès 2019, Anthony Burnham bénéficiait d’une charge d’enseignant à temps plein en tant qu’artiste en résidence au département de peinture et dessin de l’Université Concordia. « C’était un beau moment de ralentissement du travail d’atelier, un moment de calme, de repositionnement », précise-t-il, en référence à ces années passées beaucoup à (télé)enseigner.

Le revoilà donc avec un nouveau corpus d’oeuvres, et pas que des peintures, soutenu dans sa démarche par l’oeil averti d’une commissaire, Ji-Yoon Han, complice de longue date. Pour la première fois, l’univers Burnham comprend de la sculpture, de la photographie, de la performance, flirte avec le théâtre. Non seulement le titre de l’expo annonce « trois actes », l’installation Se glisser dans l’image, composée de deux tableaux à l’acrylique, d’une chaise et d’un trépied, prend l’allure d’un décor. Objets et images peintes s’y côtoient, réalité et représentation s’y confondent.

C’est vers cette oeuvre « miroir » de notre époque numérique que l’artiste se dirige lorsque vient le temps de poser pour le photographe du Devoir. Et comme pour tout bon spectacle en arts vivants, il insiste pour apparaître costumé et même cagoulé. C’est ainsi, en bleu de la tête aux pieds, qu’il performera lors des « rotations » menant aux actes 2 (le 11 mai) et 3 (le 25 mai).

« J’entre dans l’espace des images qui circulent en ligne. Le bleu, je l’identifie à la technologie. Quand tu ouvres Windows, il y a toujours du bleu », rappelle-t-il. Toute l’exposition tripartite est portée par un discours sur l’immatérialité d’un monde qui ne cesse de nous happer — une réflexion déjà présente chez l’Anthony Burnham d’il y a 22 ans et une première exposition individuelle.

Il parle davantage de transformation des images, « comme un jpeg qui change chaque fois que tu le sauvegardes », sans en occulter le cheminement créatif. « Avant, je ne présentais que l’image finale. Juste le résultat. Je me suis dit que ce qui se passe dans le processus était peut-être aussi intéressant, voire plus, que le résultat. »

Écho à la photographie

La nouvelle exposition fera triplement plaisir à ceux qui s’ennuyaient de ses tableaux, déroutants par la simplicité de leur composition et par le mimétisme qu’ils offraient d’objets tirés du réel. Le rendu est somme toute semblable, basé sur un jeu d’illusions, mais le programme est désormais plus vaste et hétéroclite.

Anthony Burnham, qui aime dire qu’il appartient à une génération d’artistes qui ont vécu le passage de l’analogique au numérique, s’est toujours servi de son appareil photographique. Inspiré par le travail conceptuel de Jan Dibbets, qui explorait les différences entre ce que l’oeil perçoit et ce qu’un appareil capte, il s’est mis à exposer « des peintures pour faire écho à la photographie ».

En mettant en scène aujourd’hui ses images photographiques au côté de ses images peintes, il multiplie les occasions de jouer avec une chose et son double, de naviguer entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Le lien entre les oeuvres en 2D et celles en 3D exposées à la galerie Eli Kerr ? Une figure anthropomorphique (« la marionnette »), sculptée en bois, photographiée dans une séquence de cinq images, peinte en mouvement…

Anthony Burnham ne cherche pas à confondre qui que ce soit. Au contraire, il joue de transparence. « L’idée est d’apporter un miroir de l’atelier. Tout est en construction », dit-il, lui qui a opté pour des matériaux pauvres, à « l’esthétique Home Depot » : du vinyle, du scotch tape, des bâches, entre autres choses. Dans Simulacrum, une impression à jet d’encre au latex et sur vinyle adhésif, il figure, une fois encore, à la fois visible et invisible, en action ou en représentation, chorégraphe et performeur.

Content d’avoir intégré une galerie qui « accepte les gestes exploratifs », le peintre-qui-ne-fait-plus-que-de-la-peinture se sait aussi choyé de l’appui de Ji-Yoon Han, elle-même réapparue après son travail lors de la plus récente biennale MOMENTA, et de l’autrice et critique Katrie Chagnon, qui signe un texte digne d’une monographie.

« Il y a eu le désir de faire une publication, mais le projet n’a pas fonctionné. On a décidé de mettre en vie ce texte, [d’en] faire un beau PDF, disponible en ligne. [Comme pour] la diffusion, l’accessibilité, la circulation des images », conclut l’artiste.

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